Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/109

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un croyant aussi parfait, un élu aussi pur que le plus saint prélat d’Europe. Voilà la supériorité saillante du christianisme, ce qui lui donne son principal caractère de grâce. Il ne faut pas le lui ôter simplement pour complaire à une idée favorite de notre temps et de nos pays, qui est de chercher partout, même dans les choses les plus saintes, un côté matériellement utile.

Depuis dix-huit cents ans qu’existe l’Église, elle a converti bien des nations, et chez toutes elle a laissé régner, sans l’attaquer jamais, l’état politique qu’elle avait trouvé. Son début, vis-à-vis du monde antique, fut de protester qu’elle ne voulait toucher en rien à la forme extérieure de la société. On lui a même reproché, à l’occasion, un excès de tolérance à cet égard. J’en veux pour preuve l’affaire des jésuites dans la question des cérémonies chinoises. Ce qu’on ne voit pas, c’est qu’elle ait jamais fourni au monde un type unique de civilisation auquel elle ait prétendu que ses croyants dussent se rattacher. Elle s’accommode de tout, même de la hutte la plus grossière, et là où il se rencontre un sauvage assez stupide pour ne pas vouloir comprendre l’utilité d’un abri, il se trouve également un missionnaire assez dévoué pour s’asseoir à côté de lui sur la roche dure, et ne penser qu’à faire pénétrer dans son âme les notions essentielles du salut. Le christianisme n’est donc pas civilisateur comme nous l’entendons d’ordinaire ; il peut donc être adopté par les races les plus diverses sans heurter leurs aptitudes spéciales, ni leur demander rien qui dépasse la limite de leurs facultés.

Je viens de dire plus haut qu’il élevait l’âme par la sublimité de ses dogmes, et qu’il agrandissait l’esprit par leur subtilité. Oui, dans la mesure où l’âme et l’esprit auxquels il s’adresse sont susceptibles de s’élever et de s’agrandir. Sa mission n’est pas de répandre le don du génie ni de fournir des idées à qui en manque. Ni le génie ni les idées ne sont nécessaires pour le salut. Le christianisme a déclaré, au contraire, qu’il préférait aux forts les petits et les humbles. Il ne donne que ce qu’il veut qu’on lui rende. Il féconde, il ne crée pas ; il soutient, il appuie, il n’enlève pas ; il prend l’homme comme il est, et seulement l’aide à marcher : si l’homme est boiteux, il ne lui demande