Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/113

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l’esprit de ceux qui prétendent constater l’égalité entre les Cherokees et les races européennes, une grande déviation à l’ensemble de leur système, puisque le premier mot de leur démonstration consiste à établir que les nations alléghaniennes ne se rapprochent des Anglo-Saxons que parce qu’elles sont supérieures elles-mêmes aux autres races de l’Amérique septentrionale. En outre, qu’est-il arrivé à ces deux tribus d’élite ? Le gouvernement américain leur a pris les territoires sur lesquels elles vivaient anciennement, et, au moyen d’un traité de transplantation, il les a fait émigrer l’une et l’autre sur un terrain choisi, où il leur a marqué à chacune leur place. Là, sous la surveillance du ministère de la guerre et sous la conduite des missionnaires protestants, ces indigènes ont dû embrasser, bon gré mal gré, le genre de vie qu’ils pratiquent aujourd’hui. L’auteur où je puise ces détails, et qui les tire lui-même du grand ouvrage de M. Gallatin (1)[1], assure que le nombre des Cherokees va augmentant. Il allègue pour preuve qu’au temps où Adair les visita, le nombre de leurs guerriers était estimé à 2 300, et qu’aujourd’hui le chiffre total de leur population est porté à 15 000 âmes, y compris, à la vérité, 1 200 nègres esclaves, devenus leur propriété ; et, comme il ajoute aussi que leurs écoles sont, ainsi que leurs églises, dirigées par les missionnaires ; que ces missionnaires, en leur qualité de protestants, sont mariés, sinon tous, au moins pour la plupart, ont des enfants ou des domestiques de race blanche, et probablement aussi une sorte d’état-major de commis et d’employés européens de tous métiers, il devient très difficile d’apprécier si réellement il y a eu accroissement dans le nombre des indigènes, tandis qu’il est très facile de constater la pression vigoureuse que la race européenne exerce ici sur ses élèves (2)[2].

  1. (1) Gallatin, Synopsis of the Indian tribes of North-America.
  2. (2) Je n'ai pas voulu taquiner M. Prichard sur la valeur de ses assertions, et je les discute sans les contredire. J'aurais pu cependant me borner à les nier complètement, et j'aurais eu pour moi l'imposante autorité de M. A. de Tocqueville, qui, dans son admirable ouvrage De la Démocratie en Amérique, s'exprime ainsi au sujet des Cherokees : « Ce qui a singulièrement favorisé le développement rapide des habitudes européennes chez ces Indiens, a été la présence des métis. Participant aux lumières de son père, sans abandonner entièrement les coutumes sauvages de sa race maternelle, le métis forme le lien naturel entre la civilisation et la barbarie. Partout où les métis se sont multipliés, on a vu les sauvages modifier peu à peu leur état social et changer leurs mœurs. » (De la Démocratie en Amérique, in-12 ; Bruxelles, 1837 ; t. III, p. 142.) M. A. de Tocqueville termine en présageant que, tout métis qu'ils sont, et non aborigènes, comme l'affirme M. Prichard, les Cherokees et les Creeks n'en disparaîtront pas moins, avant peu, devant les envahissements des blancs.