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guerres puniques, il en était de même, et la civilisation du pays était uniforme, incontestée. Dans sa façon de procéder, elle s’étendait du maître à l’esclave ; tout le monde y participait à des degrés divers, mais ne participait qu’à elle.

Depuis les guerres puniques chez les successeurs de Romulus, et chez tous les Grecs depuis Périclès et surtout depuis Philippe, ce caractère d’homogénéité tendit de plus en plus à s’altérer. Le mélange plus grand des nations amena le mélange des civilisations, et il en résulta un produit extrêmement multiple, très savant, beaucoup plus raffiné que l’antique culture, qui avait cet inconvénient capital, en Italie comme dans l’Hellade, de n’exister que pour les classes supérieures, et de laisser les couches du dessous tout à fait ignorantes de sa nature, de ses mérites et de ses voies. La civilisation romaine, après les grandes guerres d’Asie, fut sans doute une manifestation puissante du génie humain ; cependant, à l’exception des rhéteurs grecs, qui en fournissaient la partie transcendantale, des jurisconsultes syriens, qui vinrent lui composer un système de lois athée, égalitaire et monarchique, des hommes riches, engagés dans l’administration publique ou dans les entreprises d’argent, et enfin des gens de loisir et de plaisir, elle eut ce malheur de ne jamais être que subie par les masses, attendu que les peuples d’Europe ne comprenaient rien à ses éléments asiatiques et africains, que ceux de l’Égypte n’avaient pas davantage l’intelligence de ce qu’elle leur apportait de la Gaule et de l’Espagne, et que ceux de Numidie n’appréciaient pas plus ce qui leur venait du reste du monde. De sorte qu’au-dessous de ce qu’on pourrait appeler les classes sociales, vivaient des multitudes innombrables, civilisées autrement que le monde officiel, ou n’ayant pas du tout de civilisation. C’était donc la minorité du peuple romain qui, en possession du secret, y attachait quelque prix. Voilà un exemple d’une civilisation acceptée et régnante, non plus par la conviction des peuples qu’elle couvre, mais par leur épuisement, leur faiblesse, leur abandon.

En Chine, un tout autre spectacle se présente. Le territoire est sans doute immense ; mais, d’un bout à l’autre de cette