Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/244

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altérations dont il n’est pas toujours facile de retrouver la cause ethnique ; il se rencontre encore des nations qui, pressées par le contact des langues étrangères, abandonnent la leur. C’est ce qui est advenu, après les conquêtes d’Alexandre, à la partie éclairée des populations de l’Asie occidentale, telles que les Cariens, les Cappadociens et les Arméniens, et c’est ce que j’ai signalé aussi pour nos Gaulois. Les uns et les autres ont cependant inculqué dans les langues victorieuses un principe étranger qui les a, à la fin, transfigurées à leur tour. Mais, tandis que ces peuples maintenaient encore, bien que d’une manière imparfaite, leur propre instrument intellectuel ; que d’autres, beaucoup plus tenaces, tels que les Basques, les Berbères de l’Atlas, les Ekkhilis de l’Arabie méridionale, parlent jusqu’à nos jours comme parlaient leurs plus anciens parents, il est des groupes, les Juifs par exemple, qui semblent n’y avoir jamais tenu, et cette indifférence éclate dès les premiers pas de la migration des favoris de Dieu. Tharé, venant d’Ur des Chaldéens, n’avait certainement pas appris, dans le pays de sa parenté, la langue chananéenne qui devint nationale pour les enfants d’Israël. Ceux-ci s’étaient donc dépouillés de leur idiome natif pour en accepter un autre différent, et qui, subissant, quelque peu, je le veux croire, l’influence des souvenirs premiers, devint, dans leur bouche, un dialecte particulier de cette langue très ancienne, mère de l’arabe le plus ancien, héritage légitime des tribus alliées, de fort près, aux Chamites noirs (1)[1]. Cette langue, les Juifs ne devaient pas s’y montrer plus fidèles qu’à la première. Au retour de la captivité, les bandes de Zorobabel l’avaient oubliée sur les bords des fleuves de Babylone, pendant leur séjour, pourtant bien court, de soixante et dix ans. Le patriotisme, fort contre l’exil, avait conservé sa chaleur : le reste avait été abandonné avec une bizarre facilité par ce peuple tout à la fois jaloux de

  1. Les Hébreux eux-mêmes ne nommaient pas leur langue l’hébreu ; ils l'appelaient très justement la langue de Chanaan, rendant ainsi hommage à la vérité. (Isaïe, 19, 18). Voir, à ce sujet, les observations de Rœdiger sur la Grammaire hébraïque de Gésénius, 16e édition, Leipzig, 1851, p. 7 et passim.