Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conséquences. La sensitivité artistique de cet être, en elle-même puissante au delà de toute expression, restera donc nécessairement bornée aux plus misérables emplois. Elle s’enflammera et elle se passionnera, mais pour quoi ? Pour des images ridicules grossièrement coloriées. Elle frémira d’adoration devant un tronc de bois hideux, plus émue d’ailleurs, plus possédée mille fois, par ce spectacle dégradant, que l’âme choisie de Périclès ne le fut jamais aux pieds du Jupiter Olympien. C’est que le nègre peut relever sa pensée jusqu’à l’image ridicule, jusqu’au morceau de bois hideux, et qu’en face du vrai beau cette pensée est sourde, muette et aveugle de naissance. Il n’y a donc pas là d’entraînement possible pour elle. Aussi, parmi tous les arts que la créature mélanienne préfère, la musique tient la première place, en tant qu’elle caresse son oreille par une succession de sons, et qu’elle ne demande rien à la partie pensante de son cerveau. Le nègre l’aime beaucoup, il en jouit avec excès ; pourtant, combien il reste étranger à ces conventions délicates par lesquelles l’imagination européenne a appris à ennoblir les sensations !

Dans l’air charmant de Paolino du Mariage secret :


Pria che spunti in ciel’ l’aurora, etc. ...


la sensualité du blanc éclairé, dirigée par la science et la réflexion, va, dès les premières mesures, se faire, comme on dit, un tableau. La magie des sons évoque autour de lui un horizon fantastique où les premières lueurs de l’aube jonchent un ciel déjà bleu ! L’heureux auditeur sent la fraîche chaleur d’une matinée printanière se répandre et le pénétrer dans cette atmosphère idéale où le ravissement le transporte. Les fleurs s’ouvrent, secouent la rosée, répandent discrètement leurs parfums au-dessus du gazon humide parsemé déjà de leurs pétales. La porte du jardin s’ouvre, et, sous les clématites et les pampres dont elle est demi cachée, paraissent, appuyés l’un sur l’autre, les deux amants qui vont s’enfuir. Rêve délicieux ! les sens y soulèvent doucement l’esprit et le bercent dans les