Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différent de celui qu’avaient arrêté, sans eux, les brahmanes, et, tout rois qu’on les disait, ils se sentaient tellement enlacés par les prêtres, que leur prestige, vis-à-vis des peuples, devenait secondaire. Ce n’était pas non plus, pour leur avenir, un symptôme peu menaçant que de voir les brahmanes se poser, dans l’État, en médiateurs éternels entre les souverains et leurs bourgeois, leurs peuples, peut-être même leurs guerriers, tandis qu’au moyen d’une énergique patience, d’un indomptable détachement des joies humaines, ces mêmes brahmanes se faisaient les pères, les augmentateurs de l’Aryavarta, par les conversions en masse que leurs courageux missionnaires opéraient dans les nations aborigènes. Un tel tableau devait cesser, tôt ou tard, d’être considéré d’un œil placide par les princes, et les brahmanes paraissent ne pas avoir assez ménagé, même d’après les données de leur propre système, les méfiances et l’ambition des hommes qu’ils avaient le plus à craindre.

Ce n’est pas qu’ils n’aient usé de quelques ménagements. De même qu’ils avaient fait plier la rigueur de leur système jusqu’au point d’admettre des chefs aborigènes à la dignité de kschattryas, ils avaient fait preuve d’une tolérance plus difficile encore à l’égard des Arians de cette caste, en permettant à plusieurs, que signalaient la sainteté, la science et des pénitences extraordinaires, de s’élever au rang de brahmane. L’épisode de Visvamitra, dans le Ramayana, n’a pas d’autre signification (1)[1]. On citerait encore la consécration d’un autre guerrier de la race des Kouravas. Mais de telles concessions ne pouvaient être que rares, et il faut avouer qu’en échange ils se réservaient la faculté d’épouser des filles de kschattryas et de devenir rois à leur tour. Gendres des souverains, ils admettaient encore que les rejetons de leurs alliances suivaient une loi de décroissance, et se trouvaient exclus de la caste sacerdotale. Mais, du chef de leur mère, les prérogatives de la tribu militaire leur revenaient pleinement, et la dignité royale du même coup. Il y a, sur ce sujet, une anecdote que j’intercalerai

  1. (1) Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 891.