Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/463

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seule une honte, une souillure dont le kschattrya pouvait, à son gré, se laver en immolant ceux qui s’en rendaient coupables. On leur refusait l’entrée des villes et des villages. Qui les apercevait pouvait lancer les chiens sur eux. Une fontaine où on les avait vus boire était condamnée. S’établissaient-ils en un lieu quelconque, on avait le droit de détruire leur asile. Enfin, il ne s’est jamais trouvé sur la terre de monstres détestés contre lesquels une théorie sociale, une abstraction politique, se soit plu à imaginer de si épouvantables effets d’anathème. Ce n’étaient pas les malheureux tchandalas que l’on considérait au moment où l’on fulminait des menaces si atroces : c’étaient leurs futurs parents qu’il s’agissait d’effrayer. Aussi faut-il le reconnaître, si la caste éprouvée a senti, en quelques occasions, s’appesantir sur elle le bras sanguinaire de la loi, ces occasions ont été rares. La théorie lutta ici vainement contre la douceur des mœurs hindoues. Les tchandalas furent méprisés, détestés ; pourtant ils vécurent. Ils possédèrent des villages qu’on aurait eu le droit d’incendier, et qu’on n’incendia point. On ne prit même pas tant de soin de fuir leur contact, qu’on ne tolérât leur présence dans les villes. On les laissa s’emparer de plusieurs branches d’industrie, et nous avons vu tout à l’heure la brahmani de Tchampa prise pour une tchandala par le roi son mari, parce qu’elle remplissait un office concédé à cette tribu, et cependant favorablement accueillie chez un monarque même. Dans l’Inde moderne, des fonctions réputées impures, comme celles de boucher par exemple, rapportent de gros bénéfices aux tchandalas qui s’en mêlent. Plusieurs se sont enrichis par le commerce des blés. D’autres jouent un rôle important dans les fonctions d’interprètes. En montant au plus haut de l’échelle sociale, on trouve des tchandalas riches, heureux et, indépendamment de l’idée de caste, considérés et respectés. Telle dynastie hindoue est bien connue pour appartenir à la caste impure, ce qui ne l’empêche pas d’avoir pour conseillers des brahmanes qui se prosternent devant elle. Il est vrai qu’un pareil état de choses n’a pu être amené que par les bouleversements survenus depuis les invasions étrangères. Quant à la tolérance pratique et à la douceur des