Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/468

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des peuples orientaux se sont toujours complu, que la faute en revenait à une métaphysique abstruse, qui ne regardait pas tant à présenter aux yeux des monstruosités qu’à leur proposer des symboles propres à donner pâture aux considérations transcendantales. L’explication me paraît plus spécieuse que solide. Je trouve même qu’elle prête, bien gratuitement, un goût pervers aux esprits élevés qui, pour vouloir pénétrer les plus subtils mystères, ne sont cependant pas, ipso facto, dans la nécessité absolue de rudoyer et d’avilir leurs sensations physiques. N’est-il pas moyen de recourir à des symboles qui ne soient pas répugnants ? Les puissances de la nature, les forces variées de la Divinité, ses attributs nombreux ne sauraient-ils être exprimés que par des comparaisons révoltantes ? Lorsque l’hellénisme a voulu produire la statue mystique de la triple Hécate, lui a-t-il donné trois têtes, six bras, six jambes, a-t-il contourné ses visages dans d’abominables contractions ? L’a-t-il assise sur un Cerbère immonde ? Lui a-t-il disposé sur la poitrine un collier de têtes et dans les mains des instruments de supplice souillés des marques d’un emploi récent ? Quand, à son tour, la foi chrétienne a représenté la Divinité triple et une, s’est-elle jetée dans les horreurs ? Pour montrer un saint Pierre, ouvrant à la fois le monde d’en haut et celui d’en bas, a-t-elle pris son recours à la caricature ? Nullement. L’hellénisme et la pensée catholique ont su parfaitement se dispenser d’en appeler à la laideur dans des sujets qui cependant n’étaient pas moins métaphysiques que les dogmes hindous, assyriens, égyptiens, les plus compliqués. Ainsi, ce n’est pas à la nature de l’idée abstraite en elle-même qu’il faut s’en prendre quand les images sont odieuses : c’est à la disposition des yeux, des esprits, des imaginations auxquelles doivent s’adresser les représentations figurées. Or, l’homme noir et l’homme jaune ne pouvaient bien comprendre que le laid : c’est pour eux que le laid fut inventé et resta toujours rigoureusement nécessaire.

En même temps que chez les Hindous il fallait produire ainsi les personnifications théologiques, il était de même nécessaire de les multiplier, afin, en les dédoublant, de leur faire