Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/56

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les deux seuls exemples que l’on me paraisse fondé à invoquer, le fait que l’on relève a beaucoup plus d’apparence que de fond, et je nie tout à fait qu’à Rome comme à Athènes, le culte antique ait jamais été délaissé, jusqu’au jour où il fut remplacé dans toutes les consciences par le triomphe complet du christianisme ; en d’autres termes, je crois qu’en matière de foi religieuse, il n’y a jamais eu chez aucun peuple du monde une véritable solution de continuité ; que, lorsque la forme ou la nature intime de la croyance a changé, le Teutatès gaulois a saisi le Jupiter romain, et le Jupiter le christianisme, absolument comme, en droit, le mort saisit le vif, sans transition d’incrédulité ; et dès lors, s’il ne s’est jamais trouvé une nation dont on fût en droit de dire qu’elle était sans foi, on est mal fondé à mettre en avant que le manque de foi détruit les États.

Je vois bien sur quoi le raisonnement s’appuie. On dira que c’est un fait notoire qu’un peu avant le temps de Périclès, à Athènes, et chez les Romains vers l’époque des Scipions, l’usage se répandit, dans les classes élevées, de raisonner sur les choses religieuses d’abord, puis d’en douter, puis décidément de n’y plus croire et de tirer vanité de l’athéisme. De proche en proche, cette habitude gagna, et il ne resta plus, ajoute-t-on, personne, ayant quelques prétentions à un jugement sain, qui ne défiât les augures de s’entre-regarder sans rire.

Cette opinion, dans un peu de vrai, mêle aussi beaucoup de faux. Qu’Aspasie, à la fin de ses petits soupers, et Lélius, auprès de ses amis, se fissent gloire de bafouer les dogmes sacrés de leur pays, il n’y a, à le soutenir, rien que de très exact ; mais pourtant, à ces deux époques, les plus brillantes de l’histoire de la Grèce et de Rome, on ne se serait pas permis de professer trop publiquement de pareilles idées. Les imprudences de sa maîtresse faillirent coûter cher à Périclès lui-même ; on se souvient des larmes qu’il versa en plein tribunal, et qui, seules, n’auraient pas réussi à faire absoudre la belle incrédule. On n’a pas oublié non plus le langage officiel des poètes du temps, et comme Aristophane avec Sophocle, après Eschyle, s’établissait le vengeur impitoyable des divinités outragées.