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leurs autels aussi souvent qu’elles l’osèrent. La surveillance la plus active ne réussissait pas à leur arracher des mains le couteau et le flambeau sacrés. Toutes les révoltes commençaient par la restauration de ce terrible trait du culte national, et le christianisme, vainqueur encore indigné d’un polythéisme sans morale, vint, chez les Armoricains, se heurter avec épouvante contre des superstitions plus repoussantes encore. Il ne parvint à les détruire qu’après des efforts bien longs, puisqu’au dix-septième siècle, le massacre des naufragés et l’exercice du droit de bris subsistaient dans toutes les paroisses maritimes où le sang kimrique s’était conservé pur. C’est que ces coutumes barbares répondaient aux instincts et aux sentiments indomptables d’une race qui, n’ayant pas été suffisamment mélangée, n’avait pas eu jusqu’alors de raisons déterminantes pour changer d’avis.

Ce fait est digne de réflexion ; mais les temps modernes présentent surtout des exemples d’institutions imposées et non subies. Un caractère remarquable de la civilisation européenne, c’est son intolérance, conséquence de la conscience qu’elle a de sa valeur et de sa force. Elle se trouve dans le monde, soit en face de barbaries décidées, soit à côté d’autres civilisations. Elle traite les unes et les autres avec un dédain presque égal, et, voyant dans tout ce qui n’est pas elle des obstacles à ses conquêtes, elle est fort disposée à exiger des peuples une complète transformation. Toutefois les Espagnols, les Anglais et les Hollandais, et nous aussi quelquefois, nous n’avons pas osé nous abandonner trop complètement aux impulsions du génie novateur, là où nous avions des masses un peu considérables devant nous, imitant ainsi la discrétion forcée des conquérants de l’antiquité. L’Orient et l’Afrique, soit septentrionale, soit occidentale, sont des témoins irréfragables que les nations les plus éclairées ne parviennent pas à donner à des peuples conquis des institutions antipathiques à leur nature. J’ai déjà rappelé que l’Inde anglaise continue son mode de vie séculaire sous les lois qu’elle s’est jadis données. Les Javanais, bien que très soumis, sont fort éloignés de se sentir entraînés vers des institutions approchant de celles de la Néerlande. Ils conti-