Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/94

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jésuites venaient s’adresser, ne contrastaient pas, sur ce point, avec celles des autres indigènes. Toutefois, par une circonstance heureuse, ces peuples témoignaient d’une intelligence relativement développée, d’un peu moins de férocité peut-être que certains de leurs voisins, et de quelque facilité à concevoir des besoins nouveaux. Cent vingt mille âmes environ furent réunies dans les villages des missions sous la conduite des Pères. Tout ce que l’expérience, l’étude journalière, la vive charité, apprenaient aux jésuites, portait profit ; on faisait d’incessants efforts pour hâter le succès sans le compromettre. Malgré tant de soins, on sentait cependant que ce n’était pas trop du pouvoir absolu pour contraindre les néophytes à persister dans la bonne voie, et l’on pouvait se convaincre, en maintes occasions, du peu de solidité réelle de l’édifice.

Quand les mesures du comte d’Aranda vinrent enlever au Paraguay ses pieux et habiles civilisateurs, on en reçut la plus triste et la plus complète démonstration. Les Guaranis, privés de leurs guides spirituels, refusèrent toute confiance aux chefs laïques envoyés par la couronne d’Espagne. Ils ne montrèrent aucune attache à leurs nouvelles institutions. Le goût de la vie sauvage les reprit, et aujourd’hui, à l’exception de trente-sept petits villages qui végètent encore sur les bords du Parana, du Paraguay et de l’Uruguay, villages qui contiennent certainement un noyau de population métisse, tout le reste est retourné aux forêts et y vit dans un état aussi sauvage que le sont à l’occident les tribus de même souche, Guaranis et Cirionos. Les fuyards ont repris, je ne dis pas leurs vieilles coutumes dans toute leur pureté, mais du moins des coutumes à peine rajeunies et qui en découlent directement, et cela parce qu’il n’est donné à aucune race humaine d’être infidèle à ses instincts, ni d’abandonner le sentier sur lequel Dieu l’a mise. On peut croire que, si les jésuites avaient continué à régir leurs missions du Paraguay, leurs efforts, servis par le temps, auraient amené des succès meilleurs je l’admets ; mais à cette condition unique, toujours la même, que des groupes de population européenne seraient venus peu à peu, sous la protection de leur dictature, s’établir dans le pays, se seraient mêlés avec les natifs,