Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La sculpture et la peinture eurent le même sort : ces deux arts se dégradèrent. D’un public sans idées il ne sortait plus de vrais artistes. Veut-on savoir dans quel genre d’écrits se réfugia la dernière étincelle de composition originale ? Dans l’histoire ; et par qui fut-elle le mieux écrite ? Par des militaires. Ce furent des soldats qui, surtout, rédigèrent l’Histoire Auguste. En dehors des camps, il y eut aussi sans doute des écrivains de génie et d’une rare élévation, mais ceux-là étaient inspirés par un sentiment surhumain, illuminés d’une flamme qui n’est pas terrestre : ce furent les Pères de l’Église.

On arguera peut-être, des œuvres de ces grands hommes, que, malgré ce qui précède, il était encore des cœurs fermes et honnêtes dans l’empire. Qui le nie ? Je parle des multitudes, et non des individualités. Bien certainement, au milieu de ces flots de misère, il subsistait encore çà et là, nageant dans le vaste gouffre, les plus belles vertus, les plus rares intelligences. Ces mêmes conjonctions fortuites d’éléments ethniques dispersés créaient, et, comme je l’ai remarqué dans le premier volume (1)[1], en nombre même très considérable, les hommes les plus respectables par leur intégrité solide, leurs talents innés ou acquis. On en trouvait quelques-uns dans les sénats, on en voyait sous la saie des légionnaires, il s’en rencontrait à la cour. L’épiscopat, le service des basiliques, les réunions monacales en nourrissaient en foule, et déjà d’ailleurs des bandes de martyrs avaient certifié de leur sang que Sodome contenait encore bien des justes.

Je ne prétends pas contredire cette évidence ; mais, je le demande, à quoi tant de vertus, à quoi tant de mérites, à quoi tant de génie servaient-ils au corps social ? Pouvaient-ils d’une minute arrêter sa pourriture ? Non ; les plus nobles esprits ne convertissaient pas la foule, ne lui donnaient pas du cœur. Si les Chrysostome et les Hilaire rappelaient à leurs contemporains l’amour de la patrie, c’était de celle d’en haut ; ils ne songeaient plus à la misérable terre que foulaient leurs sandales. Assurément on eût pu dénombrer beaucoup de gens de vertu qui,

  1. (1) Voir tome Ier.