Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/383

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conscience de leur infériorité, n’était nullement compatible avec l’état de guerre, ni même avec l’état de conquête au milieu de masses résistantes. L’Arian, qui, dans son humeur aventureuse, vivait principalement dans l’une ou l’autre de ces situations difficiles, avait trop de bon sens pratique pour ne pas apercevoir le remède du mal et chercher les moyens d’en concilier l’application avec les idées d’indépendance personnelle qui, avant tout, lui tenaient à cœur. Il imagina donc qu’au moment d’entrer en campagne, des rapports tout particuliers, tout spéciaux, complètement étrangers à l’organisation régulière du corps politique, devaient intervenir entre le chef et les soldats ; voici comment le nouvel ordre de choses se fondait :

Un guerrier connu se présentait à l’assemblée générale, et se proposait lui-même pour commander l’expédition projetée. Quelquefois, surtout dans les cas d’agression, il en ouvrait même la première idée. En d’autres circonstances, il ne faisait que soumettre un plan qui lui était propre et qu’il appliquait à la situation. Ce candidat au commandement prenait soin d’appuyer ses prétentions sur ses exploits antérieurs, et de faire valoir son habileté éprouvée ; mais, sur toutes choses, le moyen de séduction qu’il pouvait employer avec le plus de bonheur, et qui lui assurait la préférence sur ses concurrents, c’était l’offre et la garantie, pour tous ceux qui viendraient combattre sous ses ordres, de leur assurer des avantages individuels dignes de tenter leur courage et leur convoitise. Il s’établissait ainsi un débat et une surenchère entre les candidats et les guerriers. Ce n’était que par conviction ou par séduction que ceux-ci pouvaient être amenés à s’engager avec l’entrepreneur d’exploits, de gloire et de butin.

On conçoit que beaucoup d’éloquence et un passé quelque peu digne d’estime étaient absolument nécessaires à ceux qui voulaient commander. On ne leur demandait pas, comme aux drottinns, comme aux graffs, la grandeur de la naissance ; mais ce qu’il leur fallait indispensablement, c’était du talent militaire, et plus encore une libéralité sans bornes envers le soldat. Sans quoi il n’y aurait eu à suivre leur drapeau que des dangers, sans espérance de victoire ni de rémunération.