Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/420

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Si les hommes germaniques admiraient l’ensemble de l’organisation romaine, sentiment qui n’est pas douteux, ils n’avaient pas autant de bienveillance pour tels détails qui précisément aux yeux des indigènes en faisaient la plus précieuse parure et composaient l’excellence de la civilisation. Les soldats couronnés et leurs compagnons ne demandaient pas mieux que de conserver la discipline morale, l’obéissance aux magistrats, de protéger le commerce, de continuer les grands travaux d’utilité publique  ; ils consentaient encore à favoriser les œuvres de l’intelligence, en tant qu’elles produisaient des résultats appréciables pour eux. Mais la littérature à la mode, mais les traités de grammaire, mais la rhétorique, mais les poèmes lippogrammatiques, et toutes les gentillesses de même sorte qui faisaient les délices des beaux esprits du temps, ces chefs-d’œuvre-là les trouvaient, sans exception, plus froids que glace ; et comme, en définitive, les grâces venaient d’eux, et que toutes les faveurs tendaient à se concentrer, après les gens de guerre, sur les légistes, les fonctionnaires civils, les constructeurs d’aqueducs, de routes, de ponts, de forteresses, puis sur les historiens, quelquefois sur les panégyristes brûlant leur encens, par nuages compacts, aux pieds du maître, et qu’elles n’allaient guère plus loin, les classes lettrées ou soi-disant telles étaient en quelque sorte fondées à soutenir que César manquait de goût. Certes ils étaient barbares, ces rudes dominateurs qui, nourris des chants nerveux de la Germanie, restaient insensibles à la lecture comme à l’aspect de ces madrigaux écrits en forme de lyre ou de vase, devant lesquels se pâmaient d’admiration les gens bien élevés d’Alexandrie et de Rome. La postérité aurait bien dû en juger autrement, et prononcer que le barbare existait en effet, mais non pas sous la cuirasse du Germain.

Une autre circonstance blessait encore au vif l’amour-propre du Romain. Ses chefs, ignorant pour la plupart ses guerres passées, et jugeant des Romains d’autrefois d’après les contemporains, ne semblaient pas en prendre le moindre souci et c’était bien dur pour des gens qui se considéraient si forts. Quand Néron avait plus honoré la Grèce que la ville de