il m’apprit avec une joie orgueilleuse qu’il avait été le principal instrument de ma découverte. Apparemment qu’il ignorait tout le chagrin que j’avais alors : mais il y a des gens qui ne peuvent pas s’empêcher de discourir, et qui aiment mieux dire des riens que de ne rien dire, et qui parlent à tout hasard. Ils disent tout ce qu’ils pensent et ne pensent jamais à ce qu’ils disent. Je le regardai avec des yeux de mépris ; il voulut m’engager à descendre, mais il le faisait si pesamment et si mal que, m’ayant échauffé l’imagination, peu s’en fallut que je n’en vinsse à des extrémités avec sa chevalerie. Il se retira promptement et fit bien. Le sort me ménageait une occasion de vengeance qui me devait être plus douce et qui lui aurait été plus sensible s’il en eût été informé. Ce chevalier se nomme Dorville, il est du pays du Maine, gentilhomme d’une ancienne race. Il a servi longtemps, s’est retiré avec les honneurs militaires et jouit d’un bien considérable. C’est un de ces honorables parasites qui sont toujours bien hors de chez eux. Son métier est de débiter des nouvelles et de les dire autant de fois que vous le voulez. C’est une montre à répétition qui sonne aussi souvent que vous la poussez avec le pouce. Il n’a pas l’esprit de faire du bien, ni de malice pour faire du mal ; c’est le Manceau le moins Manceau qui fut jamais. Il est marié depuis plusieurs années, est un peu jaloux : personne ne connait sa femme, parce qu’il ne l’a jamais présentée en compagnie, et qu’aucun de ses amis ne sait où il loge ; son adresse est au Palais-Royal, sous l’arbre de Cracovie ou sur le banc de Mantoue.
On m’avertit plusieurs fois de la part de mon père de venir diner, mais en vain, je fis toujours la sourde oreille sans l’avoir. On me servit dans ma chambre. Quoique triste,