Page:Godard d’Aucour - Thémidore, 1908.djvu/140

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poussant un de ces hélas pathétiques qui ébranlent jusques aux voutes des temples, ne fut pas assez heureux pour contenir en lui-même la malignité du ratafia cruel et la laissa échapper avec impétuosité. Ce malheur l’étonna ; il perd la voix, on court, on vole à son secours, une sueur froide coule de tous ses membres, on le croit mort, mais dans l’instant ceux qui aident à le ranimer s’aperçoivent bien qu’il est très vivant, et, soit par esprit de joie, soit par quelque autre principe, ils ordonnent que très précipitamment on offre de l’encens au ciel et que l’on parfume l’église.

Tout le monde rit de l’aventure, et ceux qui en parurent le plus réjouis donnèrent eux-mêmes à rire aux autres à leur tour. Cependant on commença l’office, et mon père qui était présent ne put s’empêcher de me demander si je me souvenais de l’aventure de Constantin Copronyme[1].

A peine était-on au tiers du premier psaume que les deux chantres, pressés par le témoignage intérieur de leur besoin, quittent rapidement leurs chapes et sont déjà dans le cimetière. Leur espèce de fuite étonne, on se regarde : deux curés prennent les places vacantes, ils n’ont pas fait dix tours dans le chœur que les vêtements contagieux, semblables à la robe de Nessus, les embrasent ; ils les quittent, fuient de l’église et sont suivis de dix de leurs confrères qui sont dans les mêmes tourments ; tout le reste de l’assemblée de rire et de s’emporter en éclats. Le seul curé de la paroisse demeura immobile, en vain le ratafia fit-il tout son effet ; en vain était-il inondé des restes précieux de cette liqueur, il demeura ferme en sa place et imita ces anciens sénateurs qui, au milieu du sac de

  1. Constantin surnommé Copronyme, parce que lorsqu’on le baptisait, il souilla les eaux dans lesquelles il était plongé suivant l’usage.