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Page:Godard d’Aucour - Thémidore, 1908.djvu/58

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Le président tardait un peu dehors. Nous en badinâmes et rîmes entre nous, de ce qui probablement ne les désespérait pas alors. Suivant le caractère des absents, nous jugions que l’emploi de leur temps était leur plus sérieuse affaire ; et que, s’ils avaient quelque compte à rendre, ce ne serait pas d’y avoir laissé un grand vide à remplir.

Ceux qui badinent des autres sont toujours punis. En critiquant son prochain, on agit souvent de même ; la morale est très faible vis-à-vis le plaisir. Otez cette palatine, dis-je à Laurette, elle doit vous gêner ; cette garniture de robe est bien gaie. Il faut avouer que la Duchap[1] a un grand gout pour ces riens-là, si elle a le talent de vous les vendre au poids de l’or. Que vous êtes charmante ! continuai-je, le vin de Chably vous a mis un feu divin dans les yeux. Votre gorge est toute couverte de poudre, que je l’ôte : j’y portai le doigt légèrement ; j’aurais voulu alors être un autre[2] Jonathas. Que je voie votre bague ? Vous avez les doigts bien pris ; je saisis la main, je la baisai ; elle prit la mienne, elle la serra : une main qui serre veut quelque chose, je lui donnai un baiser de tout mon cœur, et redoublai à plusieurs reprises en faveur d’une belle bouche qui s’offrait toujours à mon passage. Mon ardeur augmentait, son feu se communiquait au mien, déjà nos yeux, fixés les uns sur les autres, se demandaient ce qu’ils ne peuvent qu’indiquer ; nous nous approchâmes d’un canapé qui était auprès de nous, et vers lequel le parquet ciré conduisit, peut-être malicieusement, nos sièges. Ce fut alors que, sans rien détailler, je m’occupai essentiellement de mon devoir. Je m’oubliai comme elle, nous nous égarâmes ensemble, ce que je sais,

  1. Marchande de modes vis-à-vis l’Opéra.
  2. Rois 3.