Page:Godefroy - Dictionnaire de l'ancienne langue française, 1883, T02, CASTE-DYA.djvu/11

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AVERTISSEMENT

Guère plus d’une année ne s’est écoulé depuis qu’a paru le tome premier de mon Dictionnaire de l’ancienne langue française et j’en présente le tome deuxième. Le public sera, je l’espère, rassuré sur notre régularité et notre célérité. A l’étranger comme en France, il s’est montré empressé de profiter de ce qu’on a bien voulu appeler « un répertoire incomparable (1) [1] », « un important monument philologique (2) [2] » et un merveilleux instrument de travail » (3) [3]. Il constatera, j’en ai la confiance, le redoublement de soin que je n’ai cessé d’apporter à cette œuvre dont le complètement et l’amélioration continue sont la suprême ambition de ma vie. Il sentira — ne serait-ce qu’en lisant mes scrupuleux errata — que je n’épargne rien pour satisfaire de mon mieux la critique la plus sévère.

Les représentants les plus autorisés de cette critique en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Angleterre, m’ont traité avec honneur. Ils ont tous examiné sérieusement mon œuvre et ont tous proclamé le service qu’elle rendait aux études romanes. En même temps ils en ont signalé avec une savante rigueur les lacunes et les imperfections. Qu’ils veuillent bien continuer à me surveiller et à me reprendre. Ma reconnaissance leur est assurée, et elle se manifestera par le parti que je tirerai de toutes leurs remarques. Quand une faute m’est démontrée, l’impression de chagrin que je ressens pour le fait même de l’erreur est compensée parla joie de pouvoir améliorer mon travail.

Il est un point sur lequel je ne puis malheureusement dès maintenant satisfaire aux regrets exprimés. On aurait voulu que je donnasse tous les mots de l’ancienne langue. J’ai dit pourquoi je ne l’avais pas fait. On peut me croire quand je parle de la tristesse sans cesse plus amère que me fait éprouver chaque jour ce sacrifice forcé. Et tristesse ne dit pas assez. C’est une douleur profonde, une douleur comparable à celle d’un père qui serait obligé de mutiler son enfant de ses propres mains. Je n’ai qu’une consolation, la conscience de m’être sacrifié moi-même pour le bien de la science, en courant d’abord au plus pressé par les temps si incertains que nous traversons.

Que je vive et rien ne sera perdu !

Et d’abord, tous les mots appartenant encore à la langue que j’ai systématiquement écartés prendront leur place, avec de riches exemples, dans un abrégé du Dictionnaire actuel, lequel sera circonscrit dans les limites du ixe au xive siècle, profitera pour cet intervalle de tous mes acquêts nouveaux, de toutes mes nouvelles lumières, et réalisera pour la France, dans la mesure de mon pouvoir, ce que M. Tobler se propose de donner à l’Allemagne.

Ceci m’amène nécessairement à compléter aujourd’hui les explications déjà présentées dans mon premier avertissement. Si, pour les motifs que je viens de redire, j’écarte momentanément les mots conservés, l’exclusion n’est pas absolue. Dès l’origine il a été dans mon plan de donner des mots encore usuels dans la langue moderne, quand ils offrent dans l’ancienne langue des emplois très différents de ceux qui sont établis aujourd’hui ou quand ils ne sont restés qu’avec des significations restreintes ou affaiblies. Ainsi :

Abandon, discrétion, merci, etc.; abandoner, livrer en toute liberté, lâcher, etc. ; aboner, borner, limiter, etc.; acropir (accroupir), ravaler, avilir, etc. ; bière, brancard, litière, etc. ; billart, bâton ; bonet, sorte d’étoffe; condescendre, descendre ; cornet, coin, recoin ; destroit, lieu resserré, prison étroite, etc. ; douter, craindre ; effroyable, au sens actif, qui jette l’effroi ; empaistrer (empêtrer), entraver ; gercer, scariller, cautériser ; gerçure, scarification, cautérisation ; humilité, humelité, bonté, douceur, affabilité ; mouton, mollon, bélier; offusquer, obscurcir ; répugnance, lutte, opposition; ridé, plissé à petits plis; susciter, ressusciter; us, usage, emploi, service ; usage, vie, mœurs, coutumes, manière d’être, etc., etc.

Voyant qu’il peut entrer dans les dix volumes qui m’ont été accordés plus de matière que je ne le prévoyais, j’élargis mon cadre.

A partir du tome III, j’admettrai tous les mots archaïques et non purement savants qui n’ont pas été adoptés par les dernières éditions du Dictionnaire de l’Académie, et en particulier les termes de coutumes, d’histoire, d’arls, de métiers, dont les exemples sont surtout fournis par des textes anciens. M. Littré donne, avec une croix, quantité de termes qui ont droit de figurer dans un dictionnaire moderne et qui ont une histoire ; mais quand l’historique ne manque pas tout à fait à son dictionnaire, il est très-incomplet. Je considérerai tous ces mois comme étant de mon domaine, je les étudierai à fond et les justifierai largement. Des lectures de manuscrits et d’imprimés incessamment recommencées, de nouvelles fouilles dans les plus riches dépôts de la France et d’une partie de l’Europe m’ont déjà fourni la matière d’un Supplément assez considérable, puisqu’à celle heure il contient : pour la lettre A, près de 200 mots nouveaux et environ 500 compléments d’articles ; pour la lettre B, 150 mots nouveaux et environ 150 compléments ; pour la lettre C, 200 mots nouveaux et 250 compléments environ ; et pour la lettre D. 50 mots nouveaux et quelque 120 compléments.

A ce Supplément j’ai joint dès maintenant des reprises très importantes faites sur mon Glossaire de la langue du xvie siècle et sur mon historique de la langue moderne. Ces reprises forment pour la lettre A 177 mots qui sont :

  1. Ein unvergleichliches Repertorium. (Archiv fur das Studium der neueren Sprachen, 1882, p. 422.)
  2. Arsène Darmesleter, Répertoire des travaux historiques, 1882, p. 254.
  3. A. Thomas, Revue Critique du 7 août 1882.