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Page:Godefroy - Histoire de la litterature francaise - XIX Prosateurs T2.djvu/77

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l’autre, et permettez-moi de vous présenter bien humblement mes héros, Anna Bontemps, Adrien Malaret, Lucrezia, Mme d’Allibert, Louise Perrinet, Édouard et Mariette, Nicette et François, comme de pauvres humains plus faibles que coupables, bons quelquefois, aveugles souvent, battus par les passions qui assaillent le cœur de l’homme comme les flots par la tempête, et courant à travers les luttes de la vie à la poursuite du bonheur. »


Plusieurs récits de la Vie réelle et divers autres romans du même auteur, par exemple les Drames ignorés, Élisabeth Verdier, Un naufrage parisien, et surtout Victoire Normand, son meilleur ouvrage, révèlent un talent très vivace, mais encore très féminin. Claude Vignon analyse finement, mais ne creuse pas profondément. Chez cet écrivain, l’intention morale se laisse deviner plus qu’elle ne s’affirme ; les meilleures conclusions ne se dégagent pas nettement et vivement des faits présentés. Dans Élisabeth Verdier, dans Révoltée, les sympathies sont éveillées principalement en faveur des coupables, et l’expiation d’Élisabeth comme le suicide d’Edmée suffisent à peine pour sauver les apparences, tant l’auteur a rendu chaleureuse sa peinture des entraînements de la passion surmontant les froides obligations du devoir. Car, en toute circonstance, — c’est la marque particulière de son talent, — ses romans les plus dénués de la fermeté d’analyse se relèvent par l’intérêt et le pathétique des situations.


Marie Sebran a sa place parmi nos écrivains délicats pour ses nouvelles : Rousou et Fleur de Thym. On y reconnaît un mélange original des impressions d’idéalisme communes aux tempéraments poétiques et des sensations particulières à ces femmes nerveuses et passionnées, craintives, tremblant au moindre présage, souriant d’allégresse pour un rayon de soleil dans leur chambre, pleurant pour un nuage au ciel, et confondant à tout moment dans leur cœur les sentiments les plus vifs et les plus tendres, les plus ardents et les plus candides. Marie Sebran a répandu la meilleure partie d’elle-même dans ses écrits.

Rousou, son livre de prédilection, est une idylle charmante, émaillée de jolis détails, qui rappelle par de certains côtés la Mare au Diable et la Petite Fadette. Les dernières pages offrent un tableau pathétique. On suit avec un attendrissement profond cette courte scène faite de passion exaltée, de douleur poignante et d’émotion religieuse, où toutes les suavités du printemps viennent se mêler à l’austère et consolant appareil de la mort chrétienne. Fleur de Thym, dont le sujet est pris dans une superstition naïve de Touraine, fait songer, au moins pour son inspiration, à la Neuvaine de la Chandeleur par Charles Nodier. C’est une nouvelle assez émouvante où domine un sentiment d’exaltation rêveuse, mais qui reste, en général, inférieure à Rousou. Les détails en sont chargés ; on y pourrait signaler quelques invraisemblances et la moralité du dénoûment paraît fort contestable. Cet ouvrage, et Rousou même, pèchent par le défaut de soin