Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/228

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dans cet état de soupçon et de prévoyance, quand j’aperçus Thomas, ce domestique de M. Falkland dont j’ai déjà eu occasion de parler plusieurs fois. Il vint droit à moi, et avec un air trop ouvert pour que je pusse croire qu’il y eût rien d’insidieux dans son dessein, d’autant moins que Thomas, quoique grossier et sans éducation, m’avait toujours paru mériter, par sa droiture et sa bonté naturelles, une estime particulière.

« Thomas, lui dis-je, comme il approchait, j’espère que vous allez me féliciter de ce que je suis enfin délivré du danger affreux dont je me suis vu si impitoyablement menacé pendant plusieurs mois.

— Non, ma foi, répondit durement Thomas, je ne vous en félicite pas. En vérité, je ne sais que dire de moi dans cette affaire. Pendant que vous étiez dans cette prison si tristement enfermé, je me sentais presque comme si j’avais eu du tendre pour vous, et, à présent que tout cela est fini et que vous voilà libre d’aller et de venir par le monde à suivre vos vicieux penchants, le sang me bout, rien seulement que de vous voir. À vous regarder, il me semble que vous êtes encore ce petit Williams que j’aimais tant et pour qui j’aurais de bon cœur donné ma vie, et pourtant sous ce visage riant sont la trahison, le mensonge et tout ce qu’il y a de plus dangereux et de plus abominable au monde. Votre dernière action est encore pire que tout le reste. Comment avez-vous bien pu avoir le cœur d’aller faire revivre cette vilaine histoire de M. Tyrrel, dont tout le monde est convenu de ne jamais re-