Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/244

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et de la rage que le résultat d’un projet réfléchi et concerté. Oh ! combien mon sort me paraîtrait au-dessus du sort de tous les autres hommes, comme je savourais mon bonheur, si, après tant de terreurs et d’alarmes, je me voyais enfin tout à coup rétabli dans la jouissance des droits d’une créature humaine ! Tandis que je cherchais ainsi à charmer ma solitude par ces douces illusions, il arriva que quelques maçons avec leurs compagnons furent appelés, d’une distance de cinq à six milles, pour travailler à quelque agrandissement dans une des meilleures maisons de ce canton dont le locataire venait de déménager. Aucun événement sans doute ne serait moins remarquable, sans le rapport étrange qui se trouva entre l’époque de leur arrivée et celle du changement subit qui se fit dans ma situation. Ce changement se manifesta par une sorte de froideur et de réserve que je remarquai d’abord dans une personne et puis dans une autre de ma nouvelle société. On paraissait éluder de lier conversation avec moi, et on répondait à mes demandes d’un air contraint et embarrassé. Quand on me rencontrait dans la rue ou dans les champs, les figures semblaient s’assombrir, et l’on s’arrangeait pour éviter mon abord. Mes écoliers me quittèrent les uns après les autres, et il ne me vint plus d’ouvrage dans mon autre profession. Il me serait impossible de rendre les sensations que produisit sur moi le progrès graduel, mais continu, de cette révolution inexplicable. Il semblait que je fusse atteint d’un mal contagieux qui mettait chacun dans la nécessité de me fuir et