Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/285

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jugement. M. Falkland, il est vrai, était mortel ; mais, malgré le dépérissement de sa santé, il pouvait encore vivre longtemps. Devais-je me soumettre à voir les plus belles années de ma vie se consumer dans une situation aussi déplorable que la mienne ! Il m’avait déclaré que sa réputation serait pour toujours hors de toute atteinte ; c’était là sa passion, sa démence. Vraisemblablement donc il se proposait de me faire un legs de haine et de persécution, dont il chargerait Gines, ou quelque autre scélérat aussi atroce, d’être l’exécuteur, quand il ne pourrait plus me persécuter lui-même. C’était donc à présent ou jamais le moment de racheter mes jours de l’éternel désespoir auquel ils étaient voués.

Mais tout cet échafaudage de raisonnements s’évanouit devant l’objet qui s’offrait à mes regards : « Pourrais-je fouler aux pieds un homme réduit à un état aussi misérable ! Irais-je diriger tous les traits de mon animosité sur un être déjà presque anéanti par l’inévitable loi de la nature ? Empoisonner ainsi les derniers moments d’un homme tel que Falkland par des sons aussi insupportables à son oreille ! » À ces questions je répondais toujours non ; c’est impossible. Il faut donc que je me sois laissé égarer par la plus funeste des erreurs pour me rendre l’auteur de cette catastrophe abominable. Certainement il y avait un remède plus efficace et plus magnanime aux maux sous lesquels je gémissais.

Mais il n’est plus temps. Il n’est plus en mon pouvoir de revenir sur la fatale erreur qui m’avait