Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/296

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généreux de lui plonger moi-même un poignard dans le sein ! il aurait encore pu me rendre grâce de ma bonté. Mais qu’avais-je fait ? Atroce et abominable méchant ! je m’étais fait un jeu barbare de lui infliger des tortures mille fois plus cruelles que la mort. Aussi je porte la peine de mon crime. J’ai toujours devant moi son image. Dans mes veilles ou dans mes songes, c’est lui que je vois. Je le vois qui me reproche avec douceur mon insensibilité. Je ne vis que pour être la proie du remords. Hélas ! je suis ce même Caleb Williams qui pouvait encore, il y a quelques jours, au milieu de ses infortunes inouïes, se vanter de son innocence.

Tel fut le résultat du plan que j’avais formé pour me délivrer des maux que j’endurais depuis si longtemps. Je me figurais que, si Falkland venait à mourir, je pourrais retrouver encore tout ce qui rend la vie précieuse. Je me figurais que si je parvenais à démontrer le crime de Falkland, mes efforts seraient couronnés par les faveurs de la fortune et les applaudissements des hommes. L’une et l’autre de ces conditions sont remplies ; et ce n’est que d’aujourd’hui que je suis véritablement misérable.

Mais pourquoi est-ce moi qui suis perpétuellement le centre de mes réflexions, — ce moi que je n’ai que trop écouté, ce moi qui a été la source de mes funestes erreurs ? Falkland, je ne veux m’entretenir que de toi, et c’est dans cette pensée que je puiserai sans cesse un nouvel aliment à mes douleurs. Je veux consacrer à ta cendre une larme gé-