Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/88

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trais dans ce qu’on appelle ordinairement la forêt. Quelque étrange que la chose puisse paraître, torturé par la faim comme je l’étais, dépourvu de toute espèce de moyen de pourvoir à mes besoins et environné de mille sujets d’alarmes, je sentis une joyeuse animation. Je voyais les plus redoutables difficultés de mon entreprise surmontées, et je ne pouvais pas croire qu’après en avoir tant fait, rien de ce qui me restait à faire fût capable de m’arrêter. Je me rappelais avec horreur les chaînes que j’avais portées, et le sort affreux que j’avais vu si longtemps suspendu sur ma tête : jamais homme ne savoura plus délicieusement que je le fis alors, les douceurs de la liberté ; jamais homme ne sentit avec plus d’énergie combien la pauvreté indépendante l’emporte sur les trompeuses amorces d’une vie de servitude. J’étendis mes bras avec transport, et en battant des mains je m’écriai :

« C’est à présent que je suis un homme ! hier, ces bras étaient meurtris par des fers ; chaque mouvement que je faisais pour me lever ou pour m’asseoir était marqué par le bruit de mes chaînes ; j’étais lié par terre comme une bête sauvage, et un cercle de quelques pieds de circonférence était le seul espace où je pusse m’étendre. Aujourd’hui, je puis courir comme le lévrier en chasse et bondir comme le jeune daim sur les montagnes. Grand Dieu (s’il est un Dieu qui daigne compter les battements solitaires d’un cœur rempli d’anxiété) ! toi seul, tu pourrais dire avec quelles délices un prisonnier qui vient de briser sa chaîne goûte le bonheur de se re-