Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/102

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vel adorateur, son antipathie ne fit qu’augmenter. Mais, quoique son caractère fût décidé et exempt de la faiblesse que donne une éducation plus soignée que la sienne, cependant elle n’avait pas été accoutumée à essuyer de vives contradictions, et la sévérité toujours croissante de son cousin ne laissait pas de lui causer de l’effroi. Quelquefois elle songeait à s’enfuir d’une maison qui était devenue pour elle une prison ; mais, quand elle examinait de plus près un pareil projet, les habitudes de sa jeunesse et son ignorance du monde la faisaient bientôt reculer. Mrs. Jakeman ne pouvait, il est vrai, se faire à l’idée de voir sa chère Émilie unie avec Grimes ; mais par prudence elle s’opposait de tout son pouvoir à ce que sa jeune amie en vînt à prendre un parti extrême. Elle ne pouvait pas s’imaginer que M. Tyrrel voulût persister dans un dessein aussi étrange, et elle exhortait miss Melville à mettre de côté pour quelques instants la franchise et l’indépendance de son caractère pour désarmer l’obstination de M. Tyrrel par les moyens les plus propres à le toucher. Elle avait une grande confiance dans l’éloquence vive et ingénue de son innocente pupille ; mais Mrs. Jakeman ne savait pas ce qui se passait au fond de l’âme du tyran.

Miss Melville se rendit au conseil de son amie. Un matin, aussitôt après le déjeuner, elle alla au clavecin, et se mit à jouer, l’un après l’autre, plusieurs airs favoris de M. Tyrrel. Mrs. Jakeman s’était retirée ; les domestiques étaient allés chacun à leur besogne. M. Tyrrel voulait aussi sortir, son