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Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/203

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de distraction, et mes remarques naïves semblaient lui promettre de l’amusement. Quel danger pouvait avoir un amusement de ce genre ? Dans cet état d’incertitude, il lui aurait été impossible de trouver dans son cœur la force de réprimer avec sévérité les innocentes indiscrétions du mien. Il fallait bien peu pour m’encourager ; mon âme agitée ne cherchait qu’à s’ouvrir. Ma simplicité était l’effet de ma complète ignorance du monde ; mais mon esprit cultivé par la lecture n’était pas sans finesse ni sans agrément. Aussi mes remarques avaient toujours quelque chose à quoi on ne s’attendait point ; elles annonçaient tantôt une extrême ignorance, tantôt de la sagacité, mais toujours de la candeur, de la franchise et du courage. Elles avaient l’air d’être faites innocemment et sans dessein, et cela même après que la curiosité m’eût excité à comparer mes observations et à en étudier les conséquences ; car un projet tout nouvellement conçu et à peine encore mûr ne pouvait pas changer en moi ces manières naturelles et l’effet d’une longue habitude.

La situation de M. Falkland était celle d’un poisson qui joue avec l’appât préparé pour le prendre. Ma façon d’agir l’encourageait, jusqu’à un certain point, à mettre de côté sa réserve habituelle et à se relâcher un peu de sa dignité ; mais bientôt une observation ou une question imprévue lui donnait l’alarme et le rappelait à lui-même. Il était toujours bien évident qu’il portait au fond de l’âme une secrète blessure. Toutes les fois qu’il m’arrivait de toucher à la cause de ses chagrins, même de la ma-