Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/209

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pres pour enseigner la sagesse aux hommes. Quand on supposerait qu’on peut sacrifier sans remords la vie des hommes pour opérer un très-grand bien, cependant, pour les civiliser et s’en faire aimer, il me semble que c’est une voie bien détournée que celle des meurtres et des massacres. Mais, dites-moi, je vous prie, est-ce que vous ne trouvez pas que ce grand héros était une espèce de fou ? Que direz-vous donc du palais de Persépolis livré aux flammes, des pleurs qu’il versa parce qu’il n’avait plus de mondes à conquérir, et de son armée conduite à travers les sables brûlants de la Libye, simplement pour visiter un temple et pour persuader aux hommes qu’il était le fils de Jupiter Ammon ?

— Alexandre, mon enfant, n’a pas été compris. Les hommes, en le peignant sous de fausses couleurs, ont voulu se venger de ce qu’il a tant éclipsé tout le reste de leur espèce. Pour réaliser son grand projet, il était nécessaire qu’il fût pris pour un dieu. C’était le seul moyen de s’assurer la vénération des peuples stupides et superstitieux de l’Asie ; c’est ce dessein, et non pas une folle vanité, qui l’a porté à agir ainsi. Et combien il eut à souffrir à cet égard de l’opiniâtreté de quelques-uns de ses Macédoniens qui n’entendaient rien à ses vues !

— Eh bien ! monsieur, après tout, Alexandre n’a fait qu’employer des moyens dont tous les grands politiques, ont fait usage aussi bien que lui. C’est aussi par des dragonnades[1] et des fraudes pieuses

  1. La Grande-Bretagne a eu ses dragonnades comme la France, grâce aux persécutions du temps de Charles II, et le verbe to dragoon est resté dans la langue pour la funeste immortalité des dragons de Claverhouse.