Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/96

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qui vous a laissée sans pain. Vous avez en tout 100 liv. sterling, et le père de Grimes s’engage à lui en donner autant. Comment osez-vous ainsi regarder vos égaux avec tant de hauteur.

— Non, monsieur, non, je ne suis pas fière, assurément. Mais, en vérité, monsieur, il ne m’est pas possible d’aimer jamais M. Grimes… Je me trouve très-heureuse comme je suis ; pourquoi irais-je me marier ?

— Finissez votre bavardage ; Grimes sera ici cette après-midi, songez à vous bien comporter avec lui. Sans cela, il saura bien vous en faire ressouvenir, quand vous vous y attendrez le moins.

— Oh ! monsieur, je le vois bien à présent, vous ne parlez pas sérieusement, j’en suis sûre.

— Pas sérieusement ! Dieu me damne, c’est ce que nous verrons. Ah ! je vous dirai bien à quoi vous pensez, moi. Vous aimeriez mieux être la maîtresse de M. Falkland que la femme d’un bon et honnête laboureur : mais j’aurai l’œil sur vous. Ah ! ah ! voilà ce que c’est que d’être trop bon. Il faut vous tenir, Miss ; il faut qu’on vous apprenne la différence qu’il y a entre vos beaux rêves et la réalité : vous bouderez peut-être, mais peu m’importe : l’orgueil a besoin de temps en temps d’une petite mortification. S’il vous arrivait de faire quelque sottise, ce serait moi qui en porterais le blâme. »

Le ton dont parlait M. Tyrrel était si différent de celui auquel miss Melville était accoutumée, qu’elle se sentit tout à fait hors d’état de rien comprendre à ce qui se passait. Quelquefois il lui venait dans