Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/376

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l’âme désire, ce que rêve le cœur ; mais quels chants seraient dignes d’un tel monarque, à sa fête la plus brillante ?

— Je ne prescris rien au troubadour, répond Rodolphe en souriant ; il appartient à un plus haut seigneur, il obéit à l’inspiration : tel que le vent de la tempête dont on ignore l’origine, tel que le torrent dont la source est cachée, le chant d’un poète jaillit des profondeurs de son âme, et réveille les nobles sentiments assoupis dans le fond des cœurs. »

Et le troubadour, saisissant sa lyre, prélude par des accords puissants. « Un noble chevalier chassait dans les bois le rapide chamois ; un écuyer le suivait, portant les armes de la chasse ; et, au moment que le chevalier, monté sur son fier coursier, allait entrer dans une prairie, il entend de loin tinter une clochette… C’était un prêtre précédé de son clerc, et portant le corps du Seigneur.

« Et le comte mit pied à terre, se découvrit humblement la tête, et adora avec une foi pieuse le Sauveur de tous les hommes. Mais un ruisseau qui traversait la prairie, grossi par les eaux d’un torrent, arrêta les pas du prêtre, qui déposa à terre l’hostie sainte et s’empressa d’ôter sa chaussure afin de traverser le ruisseau.

« Que faites-vous ? » s’écria le comte avec surprise. —
« Seigneur, je cours chez un homme mourant qui soupire
« après la céleste nourriture, et je viens de voir, à mon
« arrivée, la planche qui servait à passer le ruisseau céder
« à la violence des vagues. Mais il ne faut pas que le
« mourant perde l’espérance du salut, et je vais nu-pieds
« parcourir le courant. »

« — Alors, le puissant comte le fait monter sur son beau cheval, et lui présente la bride éclatante ; ainsi le prêtre pourra consoler le malade qui l’attend et ne manquera pas à son devoir sacré. Et le chevalier poursuit sa chasse monté sur le cheval de son écuyer, tandis que le ministre des autels achève son voyage : le lendemain matin, il ramène au comte son cheval, qu’il tient modestement en laisse, en lui exprimant sa reconnaissance.