Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/461

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cependant à parler d’un jeune peintre fort distingué, nommé Philippe, et du portrait d’une princesse qu’il avait exécuté admirablement, inspiré dans son œuvre par le génie de l’amour et par cet ineffable désir des choses d’en haut qu’il avait puisé dans l’âme profondément religieuse de celle qu’il aimait.

« Il est tellement ressemblant, dit le plus grand étranger, que c’est moins son portrait que le reflet de son image.

— C’est vrai ! m’écriai-je, on le dirait volé dans un miroir ! »

Le petit homme se leva tout d’un coup, me regarda furieusement avec son vieux visage, dont les yeux lançaient du feu.

« Cela est absurde ! s’écria-t-il, cela est insensé ! Qui pourrait dérober une image dans un miroir ?

— Qui le pourrait ? Le diable, peut-être, à votre avis ?

— Ho ! ho ! frère, celui-là brise la glace avec ses lourdes griffes, et les mains blanches et frêles d’une image de femme se couvrent de blessures et de sang. Ha ! ha ! montre-moi l’image… l’image volée dans un miroir, et je fais devant toi le saut de carpe de mille toises de haut. Entends-tu, misérable drôle ? »

Le grand se leva à son tour, s’avança vers le petit, et lui dit :

« Ne faites donc pas tant d’embarras, mon ami, ou vous vous ferez jeter du bas de l’escalier en haut. Je crois, du reste, que votre reflet, à vous, est dans un misérable état.

— Ha ! ha ! ha ! s’écria le petit en riant dédaigneusement et avec une sorte de frénésie ; ha ! ha ! ha ! crois-tu ?… crois-tu ?… J’ai du moins encore ma belle ombre ! pitoyable faquin, j’ai encore mon ombre ! »

À ces mots, il sauta hors du cabaret, et nous l’entendîmes encore qui éclatait de rire et criait dans la rue :

« J’ai encore mon ombre !… mon ombre ! »

Le grand était retombé, anéanti et tout blême, sur sa