Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/104

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de chacun se lèvera contre lui. (L’homme s’en va.) Vous n’êtes pas dégénérés, mes enfants ; vous êtes laborieux et paresseux, cruels et doux, généreux et avares : vous ressemblez à tous les êtres vos frères ; vous ressemblez aux bêtes et aux dieux. (Pandore survient.) Qu’as-tu, ma fille ? Pourquoi si émue ?

PANDORE.

Mon père !… Ah ! ce que j’ai vu, mon père, ce que j’ai senti !

PROMÉTHÉE.

Eh bien ?

PANDORE.

Oh ! ma pauvre Mira !…

PROMÉTHÉE.

Que lui est-il arrivé ?…

PANDORE.

Sentiments inexprimables !… Je l’ai vue aller au bocage, où si souvent nous cueillons des fleurs pour nos couronnes. Je la suivais, hélas ! et, comme je descendais de la colline, je l’ai vue, dans la vallée, étendue sur le gazon. Heureusement, Arbar s’est trouvé dans le bois. Il l’a tenue ferme dans ses bras ; il ne voulait pas la laisser tomber, hélas ! et il est tombé avec elle. Sa belle tête s’est renversée ; il l’a baisée mille fois et s’est attaché à ses lèvres, pour lui souffler son haleine. J’étais alarmée, je suis accourue et j’ai crié. Mes cris ont ranimé ses sens. Arbar l’a quittée ; elle s’est levée soudain, hélas ! et, avec des yeux presque éteints, elle s’est jetée à mon cou. Son cœur battait, comme prêt à se briser ; ses joues brûlaient, sa bouche était de feu ; elle fondait en larmes. J’ai senti de nouveau ses genoux chanceler, et je l’ai soutenue, mon cher père, et ses baisers, son ardeur, ont répandu dans mes veines un sentiment si nouveau, si inconnu, que, troublée, émue, éplorée, j’ai quitté enfin Mira et le bois et la campagne… Je viens à toi, mon père ! Dis-moi ce que c’est qui l’a troublée et moi avec elle ?

PROMÉTHÉE.

La mort !

PANDORE.

Qu’est-ce que cela ?

PROMÉTHÉE.

Ma fille, tu as goûté bien des plaisirs ?