Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/99

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du sombre Caucase et remplit mon âme d’une paix ravissante, tout absent qu’il est, toujours présent pour moi : ainsi mes forces se sont développées, à chaque aspiration de ton souffle céleste. Et quel droit les fiers habitants de l’Olympe se réservent-ils sur mes forces ? Elles sont miennes, et l’usage en est mien. Je ne ferai plus un pas pour le souverain des dieux.

MINERVE.

Ainsi rêve la force !

PROMÉTHÉE.

Je rêve aussi, déesse, et je suis fort aussi. Eh quoi ?… Ne m’as-tu pas vu souvent, dans une servitude volontaire, porter le fardeau qu’avec une solennelle gravité ils plaçaient sur mes épaules ? N’ai-je pas accompli, sur leur ordre, l’œuvre de chaque jour, parce que j’imaginais qu’ils voyaient le passé, l’avenir, dans le présent, et que leur direction, leurs commandements, étaient la sagesse primordiale, désintéressée ?

MINERVE.

Tu servais pour être digne de la liberté.

PROMÉTHÉE.

Et je ne voudrais pour rien au monde changer avec l’oiseau du tonnerre, et saisir fièrement de mes griffes d’esclave les foudres de mon maître. Que sont-ils ? Que suis-je ?

MINERVE.

Ta haine est injuste ! Les dieux ont reçu en partage la durée et la puissance et la sagesse et l’amour.

PROMÉTHÉE.

Mais ils n’ont pas seuls tout cela. J’ai comme eux la durée ! Nous sommes tous éternels !… Je ne me souviens pas d’avoir commencé ; je ne me sens point destiné à finir, et je ne vois pas la fin. Je suis donc éternel, car je suis !… Et la sagesse… (Il conduit Minerve auprès des statues.) Considère ce front ! N’est-ce pas ma main qui l’a modelé ? Et cette forte poitrine se porte au-devant du péril, qui l’assiége de tous côtés. (Il s’arrête auprès d’une statue de femme.) Et toi, Pandore, vase sacré, où reposent tous les dons qui charment sous le vaste ciel, sur la terre immense ; tous les sentiments de joie qui m’ont jamais vivifié ; ce qui m’a versé le soulagement sous les frais ombrages ; ce que le soleil amoureux fit jamais éclore en mon sein de joies printanières ;