Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/301

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Éléonore.

Je prends aussi plaisir à ces belles poésies. Avec un esprit varié, il célèbre un objet unique dans tous ses chants. Tantôt il l’élève, dans une brillante auréole, jusqu’au ciel étoilé, et, comme les anges, il se courbe, avec respect, sur les nues devant cette image ; tantôt il se glisse sur sa trace à travers les tranquilles campagnes, et, de toutes fleurs, il tresse une couronne. L’image adorée s’éloigne-t-elle, il consacre le sentier que ses jolis pieds ont parcouru d’une marche légère. Caché dans le buisson, comme le rossignol, le cœur malade d’amour, il fait résonner de ses plaintes mélodieuses les airs et le bocage. Sa douleur charmante, sa délicieuse mélancolie, captivent toutes les oreilles, et tous les cœurs sont entraînés.

La Princesse.

Et, s’il nomme l’objet de sa flamme, il lui donne le nom d’Éléonore.

Éléonore.

C’est ton nom comme le mien. Je serais choquée, s’il en célébrait un autre. Je suis charmée que, sous cette équivoque, il puisse cacher ses sentiments pour toi. Je veux bien qu’au doux bruit de ce nom, il se souvienne aussi de moi. Ce n’est point ici un amour qui veuille s’emparer de son objet, le posséder exclusivement, en interdire, avec jalousie, la vue à tout autre ; lorsque, dans une contemplation ravissante, il s’occupe de ton mérite, il peut bien aussi se plaire à moi, créature légère. Ce n’est pas nous qu’il aime, pardonne-moi de le dire ! De toutes les sphères, il reporte ce qu’il aime sur un nom, qui est le nôtre, et il nous fait éprouver ce qu’il éprouve : nous semblons aimer l’homme, et, avec lui, nous aimons uniquement l’objet le plus sublime que nous puissions aimer.

La Princesse.

Tu as bien approfondi cette science, Éléonore ; tu me dis des choses qui ne font guère qu’effleurer mon oreille, et qui ont peine à pénétrer jusqu’à mon âme.

Éléonore.

Toi, disciple de Platon, ne pas comprendre ce qu’une novice se hasarde à bégayer devant toi ? Quand il serait vrai que je me suis trop abusée, cependant je ne m’abuse pas tout à fait, je le