Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/315

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Antonio.

Et certes elle a bien fait ! Ces fleurs le parent mieux que le laurier même ne saurait le parer. Comme la nature couvre d’une robe verte, diaprée, les secrets trésors de son sein, il enveloppe du brillant tissu de la fable tout ce qui peut rendre l’homme digne de respect et d’amour. Le contentement, l’expérience et la raison et la force d’esprit, le goût et le sens pur du vrai bon, idéalisés, et pourtant personnifiés dans ses chants, semblent reposer comme sous des arbres fleuris, couverts de la neige des corolles légères, couronnés de roses, capricieusement entourés par les danses et la magie des folâtres amours. La source de l’abondance murmure à leur côté, et nous laisse voir des poissons merveilleux aux diverses couleurs ; l’air est peuplé d’oiseaux rares ; les prairies et les buissons, de troupeaux étrangers ; la ruse est aux aguets, à demi cachée dans la verdure ; d’un nuage d’or, la sagesse fait retentir quelquefois des sentences sublimes ; tandis que, sur un luth harmonieux, la folie semble se livrer à des écarts sauvages, et se maintient pourtant dans la plus parfaite mesure. Celui qui ose se risquer auprès d’un tel homme, mérite déjà la couronne pour son audace. Pardonnez-moi, si je me sens moi-même inspiré ; si, comme en extase, je ne puis bien considérer ni le temps, ni le lieu, ni ce que je dis : c’est que tous ces poëtes, ces couronnes, ce costume tout nouveau de nos belles, me transportent hors de moi-même dans un monde étranger.

La Princesse.

Celui qui sait si bien apprécier l’un de ces mérites ne méconnaîtra pas l’autre. Un jour tu nous signaleras dans les chants du Tasse ce que nous avons senti, et que tu peux seul approfondir.

Alphonse.

Viens, Antonio ! J’ai bien des choses encore sur lesquelles je suis très-impatient de t’interroger. Ensuite, jusqu’au coucher du soleil, tu appartiendras aux dames. Viens ! adieu ! (Antonio suit le Prince, le Tasse suit les dames.)