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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/317

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Le Tasse.

Ah ! ma princesse, l’éloge de l’Arioste dans sa bouche m’a réjoui bien loin de me blesser. Il est consolant pour nous d’entendre célébrer l’homme qui se présente à nous comme un grand modèle. Nous pouvons nous dire, dans le secret du cœur : « Si tu peux atteindre à une part de son mérite, une part de sa gloire ne saurait non plus te manquer. » Non, ce qui m’a ému, jusqu’au fond du cœur, ce qui remplit encore toute mon âme, ce sont les figures de ce monde, qui, plein de vie, infatigable, immense, tourne exactement autour d’un homme, seul grand, seul sage, et accomplit la course que le demi-dieu ose lui prescrire. J’écoutais avidement, je recueillais avec plaisir les fermes paroles de l’homme expérimenté. Mais, hélas ! plus j’écoutais, plus je m’abîmais à mes propres yeux ; je craignais de disparaître comme la nymphe Écho, le long des rochers, et de me perdre comme une vaine résonnance, comme un néant.

La Princesse.

Et, peu auparavant, tu paraissais encore sentir si nettement comme le héros et le poëte vivent l’un pour l’autre, comme le héros et le poëte se cherchent l’un l’autre, sans que l’un doive jamais regarder l’autre avec envie ! Certes elle est magnifique l’action digne d’amour ; mais il est glorieux aussi de transmettre à la postérité, par de dignes chants, les actions, avec toute leur grandeur et leur force. Qu’il te suffise, au sein du petit duché qui te protège, de contempler tranquillement, comme du rivage, le cours orageux du monde.

Le Tasse.

Et n’ai-je pas vu ici, pour la première fois, comme on récompense magnifiquement l’homme brave ? J’arrivai, enfant sans expérience, dans le temps où fêtes sur fêtes paraissaient faire de cette ville le centre de l’honneur. Oh ! quel spectacle ! La vaste place, où la vaillance exercée devait se montrer dans tout son éclat, était environnée d’une assemblée telle que le soleil n’en éclairera pas de sitôt une semblable. Là étaient assises en foule les plus belles femmes, en foule les premiers hommes de nos jours. Le regard parcourait avec étonnement cette noble multitude. On s’écriait : « C’est la patrie, la patrie seule, l’étroite péninsule, qui les a tous envoyés ici. Ils forment