veuille pourvoir à son entretien, même pendant l’absence. Parle à Antonio ; car il peut beaucoup sur mon frère, et il ne voudra pas nous garder rancune de cette querelle à nous et à notre ami.
Un mot de toi, princesse, aurait plus d’effet.
Je ne puis, tu le sais, mon amie, comme ma sœur d’Urbin, solliciter quelque faveur pour moi et pour les miens. J’aime à vivre sans bruit, au jour le jour, et je reçois de mon frère, avec reconnaissance, ce qu’il peut et ce qu’il veut me donner. Autrefois je me suis fait là-dessus à moi-même plus d’un reproche : maintenant j’ai pris mon parti. Une amie m’en blâmait souvent. « Tu es désintéressée, disait-elle, cela est fort beau ; mais tu l’es au point de ne pouvoir bien sentir les besoins même de tes amis. » Je laisse les choses suivre leur cours, et dois par conséquent souffrir le même reproche. Je me félicite d’autant plus de pouvoir actuellement offrir à notre ami des secours efficaces : la succession de ma mère m’est échue, et j’aiderai avec joie à l’entretien de l’exilé.
Moi-même, ô princesse, je me trouve en position de pouvoir aussi me montrer comme amie. Il n’est point un hôte facile : si quelque chose lui manque, je saurai bien y pourvoir avec adresse.
Eh bien, emmène-le : s’il faut me passer de lui, je te le cède plus volontiers qu’à tout autre. Je le vois bien, ce sera mieux ainsi. Faut-il donc que je prenne en gré cette nouvelle douleur, comme bonne et salutaire ? Ce fut mon sort dès l’enfance ; j’y suis désormais accoutumée. La perte du bonheur le plus doux est moins sensible de moitié, quand nous n’avons pas compté sur la possession.
J’espère te voir heureuse, comme lu le mérites si bien.
Heureuse, Éléonore ?… Qui donc est heureux ?… Mon frère sans doute, devrais-je dire, parce que son grand cœur porte sa