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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/345

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mière fois fut bien mémorable. Je me relevais à peine de nombreuses souffrances ; la douleur et la maladie venaient de céder à peine ; je portais de nouveau sur la vie un regard silencieux et timide ; je recommençais à jouir de la lumière, de mon frère et de ma sœur ; et, reprenant courage, je respirais le baume le plus pur de la douce espérance ; j’osais porter mes regards plus avant dans la vie, et de gracieuses images venaient à moi de ce lointain : ce fut alors, ô mon amie, que ma sœur me présenta ce jeune homme. Il s’avançait en lui donnant la main, et, pour te l’avouer, mon cœur le choisit soudain et ne s’en détachera jamais.

Éléonore.

Ô ma princesse, n’en aie point de regret : sentir ce qui est noble est un avantage qu’on ne peut jamais nous ravir.

La Princesse.

Le beau, l’excellent est à craindre comme une flamme, qui rend de si précieux services, tant qu’elle brûle sur notre foyer, tant qu’elle nous éclaire d’un flambeau. Qu’elle est bienfaisante ! Qui voudrait, qui pourrait s’en passer ? Et si, n’étant pas surveillée, elle dévore ce qui l’entoure, qu’elle peut faire de maux ! Laisse-moi maintenant. Je parle trop, et je ferais mieux de te cacher à toi-même combien je suis faible et souffrante.

Éléonore.

La souffrance de l’âme ne se peut mieux dissiper que par la plainte et la confiance.

La Princesse.

Si la confiance guérit, je guérirai bientôt. J’ai mis la mienne en toi, je l’ai mise pure et entière. Ah ! mon amie, il est vrai, je suis décidée. Qu’il parte ! Mais déjà je sens quelle sera la longue, l’immense tristesse des jours, quand je serai privée de ce qui faisait ma joie. Le soleil ne chassera plus de mes paupières sa brillante image, transfigurée dans mes songes ; l’espérance de le voir ne remplira plus d’une douce mélancolie mes sens à peine éveillés ; mon premier regard là-bas dans nos jardins le cherchera vainement sous les humides ombrages. Qu’il se sentait doucement satisfait, mon désir de passer avec lui chaque belle soirée ! Que, dans ces entretiens, s’augmentait le besoin de mieux se connaître, de mieux se comprendre ! Et chaque jour nos cœurs s’unissaient plus doucement dans une harmonie