Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/380

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saisis toi-même la main d’un ami, la main qui s’offre avec ardeur et qui ne peut arriver jusqu’à toi.

Le Tasse.

Tu es toujours celle qui m’apparut, dès le premier moment, comme un ange sacré. Pardonne au regard troublé du mortel, s’il t’a méconnue quelques instants. Il te reconnaît ! Son âme s’ouvre tout entière pour t’adorer toi seule à jamais. Tout mon cœur se remplit de tendresse… C’est elle ; elle est devant moi. Quel sentiment !… Est-ce un délire qui m’entraîne vers toi ? Est-ce une frénésie, ou un sens plus relevé, qui saisit, pour la première fois, la plus haute, la plus pure vérité ? Oui, c’est le sentiment qui seul peut me rendre heureux sur cette terre ; qui seul m’a laissé si misérable, quand je lui résistais, et voulais le bannir de mon cœur. Cette passion, je songeais à la combattre ; je luttais, et je luttais contre le fond de mon être ; je détruisais ma propre nature, à laquelle tu appartiens si complétement.

La Princesse.

Si tu veux, ô Tasse, que je t’écoute plus longtemps, modère ces transports qui m’effrayent.

Le Tasse.

Le bord de la coupe retient-il un vin qui bouillonne et déborde à flots écumants ? À chaque parole, tu augmentes mon bonheur ; à chaque parole, ton œil brille d’un plus vif éclat. Je me sens transformé au dedans de moi ; je me sens délivré de toute souffrance, libre comme un dieu, et c’est à toi que je dois tout. Une puissance ineffable, qui me domine, découle de tes lèvres ; oui, tu t’empares de tout mon être. Rien de tout ce que je suis ne m’appartient plus désormais. Mon œil se trouble dans le bonheur et la lumière ; mes sens vacillent, mon pied ne me retient plus ! Tu m’entraînes par une force irrésistible, et mon cœur me pousse invinciblement vers toi. Tu m’as absolument subjugué pour jamais ; eh bien, prends donc aussi tout mon être ! (Il saisit la Princesse dans ses bras et la presse contre son sein.)

La Princesse. Elle repousse le Tasse et recule avec précipitation.

Loin de moi !