Tu imagines une dure épreuve pour la jeune fllle : cependant je la soutiendrai, je le jure.
LE DUC.
Mon coupable fils épie déj’i les secrets chemins que je t’ai ouverts. Déjà il t’envie la petite portion de mes biens que je t’ai consacrée jusqu’à présent. S’il apprenait que tu es élevée plus haut par la faveur de notre roi, que bientôt tes droits pourront, à quelques égards, égaler les siens, quelle serait sa fureur ! Ne ferait-il pas méchamment tous ses efforts pour empêcher ce beau progrès ?
EUGÉNIE.
Attendons ce jour en silence ; et, l’acte une fois accompli, qui m’autorise à me nommer sa sœur, je ne manquerai ni de procédés obligeants, ni de bonnes paroles, de condescendance et d’affection. Il est ton fils, et ne serait-il pas formé à ton image, pour l’amour, pour la raison ?
LE DUC.
Je te crois capable de tous les miracles : accomplis-les pour le bien de ma maison, et reçois mon adieu ! Mais, hélas ! au moment de te quitter, je frissonne, saisi violemment d’une terreur soudaine. Ici je t’ai vue morte dans mes bras ; ici m’a vaincu le désespoir avec sa griffe de tigre : qui éloignera de mes yeux cette image ? Je t’ai vue morte ! Et la nuit et le jour.’tu m’apparaîtras souvent ainsi. Loin de toi, n’étais-je pas toujours inquiet ? Maintenant, ce n’est plus un rêve de malade ; c’est une image vraie, ineffaçable. Eugénie, la vie de ma vie, pâle, gisante, inanimée !
EUGÉNIE.
Ne rappelle pas ce que tu devrais éloigner. Que cette chute, que cette délivrance, te paraissent comme un précieux gage de mon bonheur. Tu me vois vivante devant tes yeux, (elle l’embrasse) et tu me sens vivante sur ton cœur. Laisse-moi revenir toujours, toujours ainsi. Et que, devant la vie ardente et pleine d’amour, s’évanouisse l’image de l’odieuse mort !
LE DUC.
Un enfant peut-il bien sentir comme la crainte d’une perte possible tourmente un père ? Que j’avoue seulement combien de fois déjà le courage téméraire avec lequel, comme incorporée à