Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/471

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S, à part.

Va, tu ne travailles que pour nous, avec tes digues, tes jetées ; car tu prépares à Neptune, au démon de la mer, un grand festin. De toute façon vous êtes perdus ; les éléments sont conjurés avec nous, et tout marche à la destruction.

Faust. Inspecteur !

MÉPH1STOPHÉLÈS.

Me voici.

FAUST.

Autant qu’il sera possible, enrôle des ouvriers, des ouvriers en foule ; encourage par les récompenses et les châtiments ; paye, attire, presse. Chaque jour je veux qu’on m’informe de combien s’est allongé le fossé entrepris.

MÉphistophÉlÈs, à demi-voix.

On parle, si je suis bien informé, non pas d’un fossé, mais

d’une fosse.

Faust.

Un marais s’étend le long des montagnes ; il empeste tout le sol déjà conquis : dessécher encore cette mare infecte, serait ia dernière et la plus belle conquête. J’ouvre à des millions d’hommes des espaces, où ils habiteront, non pas avec sécurité, mais dans une libre activité. Les campagnes sent vertes et fertiles, et les hommes, les troupeaux, aussitôt à leur aise sur la terre nouvelle, aussitôt établis à la base de la colline, élevée par une industrieuse et hardie population. Ici, dans l’intérieur, un vrai paradis ! Que là dehors le flot se déchaîne jusqu’au rivage ! S’il fait brèche, pour l’envahir violemment, l’effort commun s’empresse de fermer l’ouverture. Oui, je suis voué tout entier à cette pensée ; c’est la fin suprême de la sagesse. Celui-là seulmérite la liberté, comme la vie, qui doit chaque jour la conquérir. Ainsi, environnés de périls, enfants, hommes, vieillards, passent ici leurs vaillantes années. Qu’il me fût donné de voir un pareil mouvement sur un libre territoire, avec un peuple libre, et je dirais au moment : « Arrête ! Tu es si beau !» La trace de mes jours terrestres ne peut se perdre dans la suite des siècles…. Dans le pressentiment d’une si grande félicité, je goûte le plus beau moment de ma vie. (Faust tombe à la renverse ; les Lémures le saisissent et le couchent sur le sol. )