Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/13

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diants plutôt que d’un prince régnant et d’un poête déjà célèbre. Mais, après quelques semaines passées dans le tourbillon des plaisirs, Goethe éprouva le besoin de se recueillir, et il courut àWaldeck chercher la solitude et le silence des bois. Là les souvenirs de sa vie passée se réveillèrent, et il se demanda s’il ne ferait pas mieux de retourner à Francfort ; mais le duc le gagna par de nouvelles marques de son affection.

Ce prince avait l’humeur indépendante et une volonté forte : il en donna la preuve lorsque, s’élevant au-dessus du préjugé, il nomma Goethe (11 juin 1775) conseiller de légation, avec siége et voix dans le conseil, et avec un traitement de douze cents thalers.

Cette position, qui peut nous sembler modeste, souleva contre le favori la colère et l’envie. Le duc daigna justifier son choix par une déclaration explicite, qui fait le plus grand honneur à l’esprit élevé et sérieux d’un prince de dix-neuf ans. C’est qu’il avait su voir autre chose dans Goethe qu’un aimable compagnon de plaisirs. Cependant leurs amusements, parfois un peu fous, avaient fait sensation, et le bruit s’en était répandu au dehors. Klopstock crut devoir en écrire à son jeune ami, pour lui reprocher ses écarts et ceux du prince. La remontrance fut mal reçue et une rupture s’ensuivit. Bien résolus à poursuivre leurs plans de réformes sociales et politiques, les deux amis ne souffraient pas qu’on voulût réformer leur vie privée et s’ingérer dans leurs plaisirs.

Déjà l’Allemagne parlait de la haute faveur dont Goethe jouissait à Weimar ; on disait merveilles de sa verve et de son esprit. Le vieux Gleim voulut en être témoin. Voici en quels termes il raconte sa visite à la cour : « Il n’y avait pas longtemps que Goethe avait écrit son Werther, quand je me rendis à Weimar. Je désirais faire sa connaissance. Je fus invité le soir chez la duchesse Amélie, où l’on m’avait dit qu’il se rendrait aussi. J’avais apporté, comme nouveauté littéraire, le dernier Almanach des Muses de Gœttingen. J’en lus quelques morceaux à la compagnie. Cependant un jeune homme, auquel je fis à peine attention, vint se mêler parmi les auditeurs. Sauf une paire d’yeux noirs italiens, rien ne me frappa dans sa personne : mais j’allais apprendre à le connaître. Pendant une petite pause, dont les hommes et les dames profitèrent pour exprimer leur opinion sur telle et telle pièce, cet élégant chasseur (il ne m’avait pas semblé autre chose) se leva de son siége, et, en me faisant une révérence polie, il offrit de me soulager quelquefois dans ma lecture. J’acceptai sa proposition obligeante et je lui remis le livre à l’instant. O Apollon ! ô Muses ! ô Grâces ! Quelle surprise m’était réservée !