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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/160

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bien; une femme, forte et bien tournée, sans être une comédienne extraordinaire, parle à merveille et sait être en scène. Le sujet était fou. Il a diverti le public, avec une incroyable variété, pendant plus de trois heures. Mais ici encore le peuple est la base sur laquelle tout repose. Les spectateurs jouent leur rôle, et la foule s’identifie avec le spectacle. Durant le jour, dans la place et sur le rivage, dans les gondoles et les palais, le vendeur et l’acheteur, le mendiant, le marin, la voisine, l’avocat et son adversaire, vivent, se démènent, se trémoussent, parlent, protestent, crient, chantent, jouent, maudissent et font vacarme. Et, le soir, ils vont au spectacle, et voient et entendent leur vie du jour artistement combinée, enjolivée, entremêlée de contes, éloignée de la réalité par le masque, tandis qu’elle en est rapprochée par les mœurs. Ils s’en amusent comme des enfants, et, sur nouveaux frais, ils crient, ils applaudissent, ils font vacarme. Du matin au soir, ou plutôt de minuit à minuit, c’est toujours de même. Mais il est difficile de voir un jeu plus naturel que celui de ces masques, et l’on ne peut arriver là qu’avec des dispositions remarquablement heureuses et un long exercice. Pendant que j’écris ces lignes, j’entends sous ma fenêtre un grand tapage sur le canal, et il est passé minuit. Querelle ou plaisir, ils ont toujours quelque chose à démêler ensemble.

Le soir.

Cette fois j’ai entendu des orateurs populaires : d’abord trois gaillards, sur la place et le quai, racontant des histoires, chacun à sa manière, puis deux avocats, deux prédicateurs, les comédiens enfin, parmi lesquels je dois surtout distinguer Pantalon. Ils ont tous quelque chose de commun entre eux, soit parce qu’ils appartiennent au même peuple, qui, vivant toujours en public, est sans cesse engagé dans des conversations passionnées, soit parce qu’ils s’imitent les uns les autres. Ajoutez à cela une pantomime prononcée, dont ils accompagnent l’expression de leurs idées, leurs sentiments et leurs sensations.

C’est aujourd’hui la fête de saint François. J’ai été à son église, alle Vigne. La voix retentissante du capucin était accompagnée par les cris des vendeurs devant le temple, comme