Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/165

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chandeliers d’argent portatifs; qu’on pose, depuis les barques jusqu’à terre, des ponts couverts de tapis; que d’abord les longues robes violettes des jurisconsultes, les longues robes rouges des sénateurs, se déploient sur le pavé; qu’enfin le vieillard, paré de la mitre d’or phrygienne, en longue robe d’or traînante, avec le manteau d’hermine, descend de la barque; que trois serviteurs s’emparent de la queue du vêtement; tout cela, dans une petite place, en face du porche d’une église, devant les portes de laquelle sont arborés les étendards ottomans : on croit voir tout à coup une ancienne tapisserie, mais d’un dessin et d’un coloris excellents. Pour moi, fugitif du Nord, j’ai trouvé un grand plaisir à cette cérémonie. Chez nous, où toutes les solennités se célèbrent en habit court, où la plus grande qu’on puisse imaginer se passe avec le fusil sur l’épaule, quelque chose de pareil serait peut-être déplacé. C’est ici que figurent convenablement ces robes traînantes, ces paisibles cérémonies.

Le doge est un homme de grande et belle taille. Il est, dit-on, malade; mais, en faveur de la dignité, il se tient assez droit sous son pesant costume. Au reste, on le dirait le grand-papa de toute la famille, il est tout affable et gracieux, le vêtement lui sied très-bien; son petit bonnet ne fait point mal sous la mitre, parce qu’il est très-fin et transparent, et repose sur la chevelure la plus blanche et la plus brillante du monde. Il était accompagné d’environ cinquante nobles, en longues robes traînantes, d’un rouge foncé. La plupart étaient de beaux hommes; pas une tournure disgracieuse, plusieurs de grande taille, avec de grandes têtes, auxquelles allaient fort bien les blondes perruques à boucles; des traits saillants, une carnation blanche, délicate, mais qui ne paraît point molle et désagréable; des hommes à l’air sage sans effort, paisibles, sûrs d’eux-mêmes, portant légèrement la vie et tous animés d’une certaine gaieté.

Quand tout le monde se fut rangé dans l’église et que la messe eut commencé, les confréries entrèrent par la grande porte et sortirent par celle de droite, après avoir, deux à deux, reçu l’eau bénite et salué d’une inclination de tête le maître autel, le doge et la noblesse.

Je m’étais commandé pour ce soir le fameux chant des gon-