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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/169

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de grandeur colossale, ayant l’aspic enroulé autour du bras et s’endormant du sommeil de la mort; Niobé, couvrant de son manteau sa plus jeune fille contre les flèches d’Apollon; quelques gladiateurs, un génie endormi dans ses ailes, des philosophes assis ou debout. Ce sont des ouvrages qui pourront être pendant des milliers d’années les délices et les modèles du monde, sans que la réflexion épuise jamais le mérite de l’artiste.

Beaucoup de bustes remarquables m’ont transporté dans ces beaux temps antiques. Seulement je sens avec regret combien je suis arriéré dans ces connaissances. Mais je ferai des progrès; je sais du moins le chemin : Palladio me l’a aussi ouvert, comme pour tous les arts et la vie. Ces paroles sembleront peut-être un peu étranges, cependant elles sont moins paradoxales que ce qu’on rapporte de Jacques Bœhme, qu’à la vue d’un plat d’étain, il fut éclairé sur l’univers par l’illumination de Jupiter. On voit aussi dans cette collection un morceau de l’entablement du temple d’Antonin et Faustine à Rome. Ce magnifique modèle d’architecture m’a rappelé le chapiteau du Panthéon que j’avais vu à Manheim. C’est autre chose que nos saints grimaçants, empilés par étages sur de petites consoles; autre chose que nos enjolivements gothiques, nos colonnes en tuyaux de pipe, nos tourelles pointues et nos saillies fleuronnées; tout cela, j’en suis, Dieu merci, délivré pour jamais.

Je mentionnerai encore quelques ouvrages de statuaire, que j’ai vus ces derniers jours, à la dérobée seulement, mais avec étonnement et admiration : deux énormes lions de marbre blanc devant la porte de l’arsenal. L’un est assis et se dresse, appuyé sur les pattes de devant; l’autre est couché; magnifique contraste, d’une variété vivante. Ils sont si grands, qu’ils rendent tout petit autour d’eux, et qu’on serait anéanti soi-même, si les objets sublimes ne nous élevaient pas avec eux. Ces lions doivent être des meilleurs temps de l’art grec, et ils furent amenés ici du Pirée dans les beaux jours de la république. C’est aussi d’Athènes que vient une couple de bas-reliefs enchâssés dans l’église de Sainte-Justine, victorieuse des Turcs : malheureusement ils sont mis un peu dans l’ombre par des stalles. Le sacristain me les fit remarquer, parce que, selon la tradition, le Titien peignit d’après ces modèles les anges, d’une