Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/179

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désir de voir ces choses de mes yeux était arrivé dans mon cœur à sa maturité. La connaissance historique m’est inutile : les choses n’étaient qu’à deux pas de moi, mais j’en étais séparé par un mur impénétrable. Aussi ne me semble-t-il pas que je vois les choses pour la première fois, mais que je les revois. Je suis depuis bien peu de temps à Venise, et je me suis suffisamment identifié avec la vie vénitienne, et, si l’idée que j’en emporte est incomplète, je sais qu’elle est parfaitement claire et fidèle.

Venise, 14 octobre 1786, deux heures après minuit.

Dans les derniers moments de mon séjour en cette ville, car je vais m’embarquer sur le coche pour Ferrare. Je quitte Venise volontiers : car, pour demeurer avec plaisir et profit, je devrais faire d’autres courses, qui sont hors de mon plan. D’ailleurs chacun quitte Venise maintenant, et va chercher ses jardins et ses possessions en terre ferme. Cependant j’ai fait un bon chargement, et j’emporte avec moi la riche et merveilleuse et unique image.

DE FERRARE JUSQU’A ROME.

16 octobre 1786, le matin, sur le vaissau.

Mes compagnons de voyage, hommes et femmes, gens tout à fait acceptables et naturels, dorment tous encore dans la cabine. Pour moi, enveloppé dans mon manteau, j’ai passé ces deux nuits sur le pont. On ne sent la fraîcheur que vers le matin. Je suis véritablement entré dans le quarante-cinquième degré de latitude, et je répète mon vieux refrain : Je laisserais tout aux habitants de ce pays, si je pouvais seulement, comme Didon, embrasser avec des courroies autant de leur climat qu’il en faudrait pour en ceindre nos demeures. Car c’est une autre existence. Le trajet, par un temps superbe, a été très-agréable; les perspectives, les aspects, sont fort simples, mais gracieux. Le Pô, fleuve amical, coule ici à travers de grandes plaines; on ne voit que ses rives buissonneuses et boisées, aucuns lointains. Ici, comme sur l’Adige, j’ai vu des constructions absurdes, qui sont puériles et nuisibles, comme celles qu’on voit sur la Saale.