Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/301

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La lune s’élait levée deux heures avant la nuit, et donnait à la soirée une splendeur inexprimable. La situation de Palerme, qui est tournée au nord, fait que la ville et la côte se trouvent dans une relation singulière avec les grands flambeaux célestes, dont le reflet ne se voit jamais dans les flots. Aussi avons-nous trouvé aujourd’hui, par le temps le plus serein, la mer d’un sombre azur, sévère et envahissante, tandis qu’à Naples, depuis midi, elle brille toujours plus gaie, plus vaporeuse et plus lointaine. Kniep m’a laissé faire dès aujourd’hui maintes promenades et maintes observations solitaires, pour prendre une esquisse exacte du mont Pellegrino, le plus beau promontoire du monde.

Je vais ajouter ici quelques réflexions supplémentaires et familières. Nous partîmes de Naples le jeudi 29 mars au coucher du soleil, et nous n’avons abordé dans le port de Palerme qu’au bout de quatre jours, à trois heures. Un petit journal, qui accompagne cette lettre, retrace en gros nos aventures. Je n’ai jamais fait de voyage aussi tranquille, jamais goûté plus de loisir, que dans cette traversée très-prolongée par la continuité du vent contraire, même sur mon lit, dans mon étroite chambrette, où j’ai dû me tenir les premiers jours, parce que j’ai été pris violemment du mal de mer. Maintenant ma pensée traverse les flots pour aller à vous paisiblement, et je suis tranquille, car, s’il y avait pour moi quelque chose de décisif, c’était ce voyage.

Qui ne s’est pas vu environné de la mer n’a pas l’idée du monde et de ses rapports avec le monde : cette grande et simple ligne m’a donné, comme dessinateur de paysages, des idées toutes nouvelles.

Comme on le voit par le journal, nous avons éprouvé dans cette traversée bien des vicissitudes, et, en petit, on pourrait dire, les aventures des marins. Au reste, on ne peut donner assez d’éloges à la sûrelé et au confort du paquebot. Le capitaine est un admirable et galant homme. La société, qui formait toute une troupe dramatique, était de bonnes mœurs, acceptable et agréable. Mon artiste est gai, fidèle et bon ; il dessine avec le plus grand soin ; il a esquissé toutes les îles et les côtes, comme elles se présentaient. Si j’emporte tout cela, vous y