Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/32

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jours autant d’instruments utiles à l’homme dans le cours de la vie. Quelles remontrances ne fait-on pas à un enfant chez qui l’on remarque une étincelle de vanité ! Quelle misérable créature l’homme n’est-il pas, quand il s’est dépouillé de toute vanité ! Je veux te dire comment je suis arrivé à cette réflexion. Avant-hier nous fûmes accostés par un jeune homme qui nous déplut extrêmement à Ferdinand et à moi. Ses côtés faibles étaient évidents, sa frivolité, manifeste, son attention pour l’extérieur, frappante ; nous le regardions comme nous étant très inférieur, et il était partout mieux reçu que nous. Entre autres sottises, il portait un gilet de dessous de satin rouge, taillé autour du cou de telle sorte qu’il semblait être le ruban d’un ordre. Nous ne pûmes nous défendre de le railler sur cette sottise ; il nous laissait tout dire, tirait de la chose un excellent parti, et sans doute se moquait de nous à part lui. En effet, l’hôte et l’hôtesse, le cocher, le garçon, les servantes et même quelques voyageurs se laissaient éblouir par ce faux ornement, et traitaient notre compagnon plus poliment que nous. Il était le premier servi, et, à notre grande confusion, nous vîmes que les jolies filles de la maison lui adressaient leurs plus vives œillades. À la fin, nous dûmes payer par portions égales la note que ses airs distingués avaient élevée. Maintenant, qui était dupe ? Assurément ce n’était pas lui.

C’est une chose édifiante et belle que les emblèmes et les maximes qu’on trouve ici sur les poêles. Voici ce que représente une de ces images instructives, qui m’a fait une impression particulière. Un cheval, attaché à un poteau par le pied de derrière, broute l’herbe autour de lui, aussi loin que la corde le lui permet. Au-dessous est cette légende : « Laisse-moi prendre ma modeste part de nourriture. » Voilà ce que je pourrai bientôt dire à mon tour, quand je serai revenu à la maison, et que, selon votre volonté, je ferai mon devoir, comme le cheval au moulin, et que je recevrai en récompense, comme le cheval du poêle, une subsistance exactement mesurée. Oui, je reviendrai, et, vu le sort qui m’attend, il valait la peine de gravir ces montagnes, de parcourir ces vallées et de voir ce ciel bleu, de voir qu’il existe une nature, qui subsiste par une éternelle et