Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/322

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chercher dans ce sujet un côté dramatique. Je suis venu à bout de tout cela, sinon avec un grand succès, du moins avec beau coup de satisfaction. J’ai tracé le plan et je n’ai pu résister à la tentation d’esquisser et d’écrire quelques scènes, qui avaient pour moi un attrait particulier.

Palerme, jeudi 17 avril 1787.

C’est un vrai malheur d’être pourchassé et tenté par des esprits de toute sorte ! J’allais ce matin au jardin public avec la résolution ferme et tranquille de poursuivre mes rêves poétiques, mais j’ai été saisi à l’improviste par un autre fantôme, qui s’attachait à moi depuis quelques jours. Les nombreuses plantes que j’étais accoutumé à voir en caisses et en pots, et même sous des châssis de verre pendant la plus grande partie de l’année, je les trouve ici en plein air, vigoureuses et belles, et, en accomplissant leur destination tout entière, elles nous deviennent plus intelligibles. En présence de tant de figures nouvelles et renouvelées, mon ancienne chimère s’est réveillée. Ne pourraije, dans cette multitude, découvrir la plante primitive ? Cette plante doit exister : autrement à quoi reconnaîtrais-je que telle ou telle figure est une plante, si elles n’étaient pas toutes formées sur un modèle ? Je me suis appliqué à chercher en quoi ces mille et mille figures diverses sont distinctes les unes des autres, et je les trouvais toujours plus semblables que différentes, et, si je voulais mettre en usage ma terminologie botanique, je le pouvais bien, mais c’était sans avantage : cela m’inquiétait sans m’être d’aucun secours. Mon beau projet poétique était troublé ; le jardin d’Alcinoùs avait disparu ; le jardin du monde s’était ouvert devant moi. Pourquoi sommesnous si distraits, nous autres modernes ? Pourquoi nous engager dans des enlreprises qui dépassent notre portée et notre pouvoir ?

Avant mon départ, la fortune me réservait une étrange aventure, dont je vais vous faire un récit détaillé. Pendant tout le temps de mon séjour à Palerme, on avait tenu, à notre table d’hôte, bien des discours sur Cagliostro, sur son origine et ses destinées. Les Palermitains s’accordaient à dire qu’un certain Joseph Balsamo, né dans leur ville, avait encouru pour ses méfaits le décri et le bannissement. Mais ce personnage était-il le