Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/34

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casion de mentionner ses dieux et de rattacher aux phénomènes de la nature les péchés de sa paroisse.

Je n’ai donc plus le droit de rien reprocher à Ferdinand ! Moi aussi, je devais rencontrer amoureuse aventure ! Aventure ? Pourquoi me servir de cette sotte expression ? Il n’y a rien d’aventureux dans le doux penchant qui attire un cœur vers un autre. Notre vie bourgeoise, nos fausses relations, voilà les aventures, voilà les monstres, et cependant elles nous semblent aussi familières, aussi proches, que nos oncles et nos tantes.

On nous avait introduits chez M. Tadou, et nous nous trouvions très-heureux dans cette famille. Ce sont des personnes riches, cordiales, bonnes et vives, qui jouissent décemment et paisiblement, avec leur jeune famille, de la prospérité présente, de leur opulence, de leur magnifique situation. Nous ne sommes pas forcés, nous jeunes hommes, ainsi qu’il arrive dans tant de maisons cérémonieuses, de nous immoler au caprice des vieilles gens autour d’une table de jeu. C’étaient, au contraire, les vieux, le père, la mère et la tante, qui se joignaient à nous, quand nous mettions en train de petits jeux, dans lesquels agissent tour à tour le hasard, l’esprit et la gaieté. Éléonore (il faut bien la nommer enfin !), la deuxième des filles (sa figure me sera toujours présente !), une taille élancée, élégante, des formes pures, un regard serein, une pâleur, qui, chez les jeunes filles de cet âge, est presque un attrait de plus, parce qu’il annonce un mal qui peut se guérir, enfin une personne infiniment agréable. Elle semblait joyeuse et vive, et l’on était heureux près d’elle. Bientôt, je puis même dire tout de suite, dès le premier soir, elle se rapprocha de moi, prit place à mon côté, et, quand le jeu nous séparait, elle savait bien me retrouver. J’étais joyeux et de bonne humeur : le voyage, le beau temps, la contrée, tout m’avait disposé à une gaieté sans réserve, et qui avait, je puis dire, déployé toutes ses voiles ; je la recevais de chacun et la communiquais à chacun. Ferdinand lui-mème parut oublier un moment sa belle. Nous nous étions épuisés à passer d’un jeu à l’autre, lorsqu’enfin nous en vinmes au mariage, qui est, comme jeu, assez amusant. On jette dans deux chapeaux les noms des hommes et des femmes, et l’on