Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/395

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après lui ! Dès que j’eus fait un peu connaissance avec la civilisation du Midi, je soupçonnai que ce pouvait être là une manière de voir septentrionale, de ces pays où l’on tient pour oisif quiconque ne se fatigue pas péniblement tout le jour ; je donnai donc au peuple une atrention particulière, qu’il fût en mouvement ou qu’il se tînt en repos, et je pus voir, il est vrai, beaucoup de gens mal vêtus, mais je n’en vis point d’inoccupés.

J’interrogeai donc quelques amis sur ces innombrables oisifs que je voudrais bien connaître à mon tour : ces amis furent tout aussi incapables de me les faire voir ; et, comme je pouvais parfaitement me livrer à cette recherche en même temps qu’observer la ville, j’allai moi-même à la chasse.

Dans cet immense fouillis, je commençai par me familiariser avec les différentes figures, les juger et les classer d’après leur air, leur habillement, leur conduite, leurs occupations. Je trouvai ici cette opération plus facile que partout ailleurs, parce qu’ici l’homme est plus laissé à lui-même, et qu’il conforme ses allures à son état.

Je commençai mes observations de bon matin. Tous les hommes que je voyais ça et là arrêtés ou en repos étaient des gens dont le métier le voulait ainsi dans ce moment : c’étaient les portefaix, qui ont leurs stations privilégiées dans diverses places et qui attendent que quelqu’un veuille les employer ; les calessari, leurs domestiques et leurs garçons, qui stationnent sur les grandes places avec leurs calèches attelées d’un cheval, pansent leurs chevaux et sont au service de quiconque les demande ; les marins, qui fument leur pipe sur le môle ; les pêcheurs, couchés au soleil, parce qu’il souffle peut-être un vent contraire, qui ne leur permet pas de prendre la mer. Je voyais encore bien des gens aller et venir, mais la plupart portaient un signe de leur activité. Je ne voyais d’autres mendiants que des gens tout à fait vieux, infirmes, estropiés. Plus je regardais autour de moi, et plus j’observais attentivement, moins je pouvais trouver de véritables oisifs, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, soit dans la classe inférieure, soit dans la classe moyenne, soit le matin, soit dans la plus grande partie du jour.

J’entre dans le détail, afin de rendre plus croyable et plus